Le peuple australien a été sollicité aux urnes le 14 octobre dernier afin de décider de l’amendement constitutionnel visant à accorder des droits particuliers aux peuples autochtones. Afin d’être entérinée, la réforme portée par le gouvernement travailliste et à la demande des peuples autochtones, nécessitait de gagner la faveur d’une majorité de suffrages non seulement à l’échelle nationale, mais également dans au moins quatre des six États de la nation. À la surprise générale, c’est le « non » qui a prévalu. Comment peut-on expliquer ce rejet inattendu ? Quelles formes de discrimination perdurent aujourd’hui ?
◆ Une très longue histoire
Les Aborigènes d’Australie sont les peuples autochtones qui vivent sur ce continent depuis des milliers d’années, bien avant l’arrivée des colons européens. Ils ont une histoire et une culture riches qui remontent à plus de 65 000 ans et ont développé des sociétés diverses avec leurs propres langues, coutumes, croyances spirituelles et systèmes sociaux. Leur culture est basée sur une connexion profonde à la terre, exprimée notamment à travers l’art, la danse et la musique. Leurs peintures sont célèbres dans le monde entier, et elles relatent des histoires anciennes et des croyances spirituelles. Leurs terres couvrent une grande partie de l’Australie, et la revendication des droits fonciers autochtones est un enjeu majeur. Au cours de l’histoire, ils ont obtenu des droits légaux sur certaines terres et travaillent à préserver leur patrimoine culturel et environnemental. Pour mémoire, les Européens ont débarqué en 1606 en Australie et entrepris la colonisation d’un territoire qui était celui des Aborigènes depuis des millénaires. Ils les ont soumis au fil de l’histoire et parfois même massacrés. Aujourd’hui, l’Australie compte une population d’environ 984 000 Aborigènes et insulaires du détroit de Torres, représentant 3,8 % de l’ensemble de la population. Les Aborigènes jouissent des mêmes droits que leurs concitoyens, pourtant, de nombreuses disparités persistent. Plus de deux siècles après l’arrivée des colons britanniques, ils continuent de faire face à une espérance de vie réduite de huit ans par rapport au reste de la population. Leur situation économique est généralement moins favorable, les problèmes de santé et les taux d’incarcération sont plus élevés, et l’accès à l’éducation est souvent entravé.
◆ L’objet du vote
Les Australiens ont été invités à se prononcer sur une modification de la Constitution de 1901, qui constituait une première étape vers la reconnaissance des peuples autochtones. Cette réforme, si elle avait été adoptée, aurait pu entrainer la reconnaissance formelle des Aborigènes australiens, et leur aurait accordé le droit d’être consultés par le gouvernement sur les lois ayant un impact sur leurs communautés. Ce projet envisageait notamment l’établissement d’un conseil de consultation, communément désigné sous le nom de « The Voice », qui aurait été affilié au Parlement et au gouvernement. Son objectif sous-jacent consistait à restaurer l’harmonie dans une nation où les conséquences des violences coloniales continuent d’être minimisées et négligées. Son rôle leur aurait permis de formuler des recommandations concernant les législations et les orientations politiques ayant un impact sur les communautés autochtones.
◆ Les causes de la défaite
Le premier ministre, Anthony Albanese (travailliste), a attribué cet échec à la campagne hostile menée par ses opposants politiques. Traditionnellement, aucun référendum n’a réussi sans l’appui des principaux partis. M. Albanese, élu l’année précédente, avait promis de tenir ce référendum et a accepté la responsabilité de la décision de son gouvernement de poursuivre malgré les signes annonçant l’échec inévitable. « J’avais le devoir, en tant que politicien convaincu, de faire part de cela au peuple australien », a-t-il déclaré aux journalistes. Initialement en position de force, le groupe qui soutenait la modification de la Constitution de 1901 a connu un recul constant au cours des derniers mois. Cette tendance s’explique en partie par la campagne orchestrée par l’opposition conservatrice, sous la direction de l’ancien ministre de la Défense, Peter Dutton. Du point de vue des conservateurs, la réforme était perçue comme une altération constitutionnelle inopportune susceptible de diviser la société, en introduisant une notion de citoyenneté différenciée. De plus, la campagne a donné lieu à une avalanche de commentaires à caractère raciste sur les réseaux sociaux. De la désinformation a également circulé, avec des allégations, y compris certaines suggérant que la réforme pourrait mettre en péril les droits de propriété ou entraîner des compensations financières en cas de succès. Pour les partisans de « The Voice », cette initiative était au contraire censée contribuer à apaiser les cicatrices encore vives d’une histoire marquée par la colonisation et la discrimination raciale. « Il va y avoir beaucoup de douleur, de souffrance et de consternation et il va falloir prendre un moment pour absorber ce message et ce qu’il dit », a déclaré la défenseuse de « The Voice », Tanya Hosch, dévastée par le résultat.
L’histoire de l’Australie révèle que très peu de référendums ont obtenu l’adhésion des électeurs. Seulement huit des quarante-quatre propositions soumises ont été validées. Les autres ont invariablement échoué, en raison du manque de soutien à la fois du gouvernement et de l’opposition. Cela inclut le vote de 1999 sur la transformation de l’Australie en une république, qui n’a pas reçu le feu vert.
« Nous sommes tous des visiteurs de ce temps, de ce lieu ; nous ne faisons que les traverser. Notre but ici est d’observer, d’apprendre, de grandir, d’aimer… Après quoi, nous rentrons à la maison », proverbe Aborigène
Jessica Baucher
* Crédit photo en tête d’article : ©Pixabay
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