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Nouvelle Calédonie : le réveil d’une colère ancestrale

Depuis plus d’une semaine, la Nouvelle-Calédonie est secouée par des émeutes ayant causé six morts et des centaines de blessés, dans un contexte de revendications indépendantistes. Les troubles ont éclaté en réaction à une révision constitutionnelle qui prévoit de modifier le corps électoral de cet archipel de 271 400 habitants. Ces changements sont vivement contestés par les forces indépendantistes.

◆ Un peu d’Histoire…
La Nouvelle-Calédonie, colonisée par la France en 1853, est devenue un territoire d’outre-mer en 1946 et les Kanaks ont obtenu la nationalité française en 1957. Les Kanaks sont la population autochtone mélanésienne de la Nouvelle-Calédonie, représentant plus de 41 % des 271 400 habitants selon le recensement de 2019. Historiquement présents depuis 3 000 ans, ils étaient environ 27 000 au début des années 1920. Durant la colonisation, le peuple Kanak a subi le régime de l’indigénat et de nombreux Kanaks ont été parqués dans des réserves et exploités mais aussi, en mai 1931, exhibés dans un zoo humain en marge de l’exposition coloniale de Paris. La Nouvelle-Calédonie a été une colonie française marquée par 171 années d’occupation, de spoliation des terres, de racisme et de violences diverses.


Au fil des décennies, cette île a été le théâtre de plusieurs référendums clés, reflétant les défis de son processus de décolonisation et les aspirations de sa population. En 1987, un référendum  a marqué le début de cette saga démocratique. La proposition de réforme constitutionnelle visant à accorder une plus grande autonomie à l’île a été rejetée, révélant les tensions entre la France et la communauté kanak, qui a majoritairement voté contre. Lors de ce référendum, les Kanaks bénéficiaient de droits de vote spécifiques basés sur leur statut d’autochtone. En revanche, les Caldoches, descendants des colons européens, étaient éligibles au vote selon des critères de citoyenneté et de résidence similaires à ceux de toute autre populationCes différences ont contribué aux tensions politiques entre les Kanaks, en faveur de l’indépendance, et les Caldoches, la plupart du temps partisans du maintien des liens avec la France.


Une décennie plus tard, en 1998, l’accord de Nouméa a ouvert la voie à un référendum d’autodétermination. Les Calédoniens ont été appelés à se prononcer sur leur avenir politique. Le résultat a montré une volonté de rester au sein de la France, mais avec un attachement fort aux engagements de l’accord. Lors de ce référendum-là, les droits de vote étaient fondés sur des critères de citoyenneté et de résidence, sans distinction ethnique ou culturelle spécifiqueAinsi, tant les Kanaks que les Caldoches étaient éligibles au vote selon les mêmes conditions ce qui n’était pas très juste pour la population Kanak.


Puis, en 2018, le premier référendum d’autodétermination a ravivé le débat. Malgré une majorité votant en faveur du maintien dans la France, l’écart de voix a révélé une division persistante au sein de la société calédonienne. Ce référendum était important car il marquait une étape cruciale dans le processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. Il s’est déroulé dans un climat de tension et de grande attention internationale. Finalement, le « non » à l’indépendance l’a emporté avec 56,7% des voix.


Deux ans plus tard, en 2020, un deuxième référendum a été organisé, toujours dans le cadre de l’accord de Nouméa. Les conditions de vote étaient les mêmes que lors du référendum précédent, toujours basées sur la citoyenneté et la résidence. Le « non » à l’indépendance l’a emporté avec 53,26% des voix.


Enfin en 2021, le troisième référendum a été l’ultime étape de ce processus.  Il a cependant été marqué par un boycott de la part des indépendantistes, qui ont appelé au report de la date du scrutin en raison de la pandémie de Covid-19 et du besoin d’une période de deuil prolongé chez les familles kanaks. De leur côté, les anti-indépendantistes ont soutenu que la pandémie avait été utilisée comme un prétexte pour repousser un référendum jugé perdu d’avance par les indépendantistes. Malgré cette demande de report, l’État a décidé de maintenir la date du 12 décembre. Le scrutin a vu une forte baisse de la participation par rapport aux référendums précédents. Le « non » à l’indépendance l’a donc emporté à 96,50 % des suffrages exprimés, mais cette abstention massive a remis en question la pleine représentativité du résultat.


 Et le nickel dans tout ça ?

Le nickel a en effet un rôle majeur dans le contexte des référendums en Nouvelle-Calédonie. L’archipel possède d’importantes réserves de nickel, un minerai précieux utilisé dans diverses industries, notamment dans la production d’acier inoxydable, de batteries et aujourd’hui, de voitures électriques. La question de la gestion de cette ressource naturelle stratégique a souvent été au cœur des débats politiques et des enjeux économiques de la région. Certains considèrent que le contrôle du nickel et de ses retombées économiques est un facteur déterminant dans les perspectives d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, tandis que d’autres estiment que le maintien de liens avec la France garantit une meilleure gestion et une plus grande stabilité économique. Ainsi, le nickel constitue un enjeu crucial dans les discussions sur l’avenir politique de l’archipel et influence les positions des différents acteurs impliqués dans les référendums.



©Pixabay


◆Ahou colère

Les tensions actuelles sont provoquées par le projet de l’État français de réformer la Constitution pour modifier le corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Jusqu’à présent, seuls ceux répondant à des critères spécifiques de citoyenneté calédonienne pouvaient voter (autochtones kanaks et aussi allochtones, d’origine européenne ou autre, mais seulement ceux qui étaient déjà présents en 1988 et leurs descendants). Le gouvernement français souhaite désormais élargir ce droit de vote aux résidents présents depuis au moins dix ans. Depuis l’annonce de cette décision, des émeutes ont éclaté et fait six morts et des centaines de blessés. Isabelle Merle, directrice de recherche au CNRS spécialiste de l’histoire de la colonisation dans le Pacifique et notamment en Nouvelle-Calédonie, a déclaré au journal Sud-Ouest : « (…) depuis 2011, on a ouvert les armes en Nouvelle-Calédonie [le Haut-Commissariat en Nouvelle-Calédonie a, le 15 mai, interdit le port d’arme et la vente d’alcool sur l’île, NDLR]. Résultat, il y a déjà des morts. Pourtant, les observateurs avaient prévenu depuis 2021, avec les référendums abîmés par le fait qu’ils ne se sont pas déroulés dans des conditions correctes ».


Suite aux affrontements violents, l’accès à TikTok en Nouvelle-Calédonie a été bloqué par Paris. Cette décision, prise dans le contexte de l’état d’urgence, a conduit à des poursuites judiciaires contre le gouvernement français. Cette suspension de TikTok en Nouvelle-Calédonie est historique car c’est la première fois en France et dans l’UE qu’une plateforme de réseau social entière est fermée par les autorités. Bien que la loi française permette cette mesure en cas d’état d’urgence pour interrompre des services en ligne incitant ou glorifiant le terrorisme. Certaines inquiétudes concernant cette décision restent cependant justifiées. Deux associations, la Ligue des droits de l’Homme et La Quadrature du Net, contestent la décision de bloquer TikTok, qualifiant cette mesure de « censure » menaçant la liberté d’expression. Le gouvernement cite des risques de désinformation et d’ingérences étrangères, tandis que TikTok regrette l’absence de consultation préalable. Amnesty International insiste également sur les risques pour les droits fondamentaux et dénonce la violence, soulignant des inégalités raciales et un processus de décolonisation en suspens.


Lors de sa récente visite en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron a implicitement affirmé sa position en faveur du maintien de la méthode actuelle : un recours à la force institutionnelle et à la répression pour ignorer le droit à l’autodétermination du peuple kanak, malgré ses appels apparents au dialogue. Lors de cette visite, le président a rencontré les représentants loyalistes et indépendantistes, notamment Christian Tein, membre de l’Union Calédonienne et dirigeant de la CCAT. Emmanuel Macron a appelé à la fin des barrages et au rétablissement de l’ordre, annonçant le déploiement de forces de l’ordre supplémentaires. Il a conditionné le dialogue politique à la levée des barrages et affirmé son intention de poursuivre la réforme du corps électoral, malgré les oppositions. Le président a réitéré la légitimité démocratique de la réforme, soulignant que le vote au Parlement français l’a validée. Il a maintenu la perspective d’un accord global mais avec des positions fermes, ce qui risque de perpétuer la colère en Kanaky.


À l’heure où je termine d’écrire cet article, les émeutes reprennent puisqu’un homme de 48 ans a été tué par un policier à Dumbéa après que ce dernier a été pris à partie par une quinzaine d’individus, selon le parquet. Nous ne pouvons qu’espérer que le calme revienne rapidement et que le peuple Kanak soit enfin entendu. Ainsi, selon l’association Survie, qui lutte contre toutes les formes de néocolonialisme, la situation en Nouvelle-Calédonie est la conséquence logique d’un sabotage méthodique du processus de décolonisation par l’État français.



Jessica Baucher


* Crédit photo en tête d’article : ©Pixabay



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