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Preuves archéologiques d’un rituel aborigène australien ethnographiquement documenté et daté de la dernière période glaciaire

La découverte de foyers enterrés et de bâtons en bois taillés pourrait correspondre au plus ancien rite culturel connu qui s’est transmis oralement pendant 500 générations, de l’âge de pierre à la période coloniale. Dans les sociétés sans écriture, les rituels ethnographiquement connus ont rarement été retracés archéologiquement au-delà de quelques centaines d’années. À l’invitation des anciens aborigènes de GunaiKurnai, des fouilles archéologiques ont été conduites dans la grotte de Cloggs, au pied des Alpes australiennes, dans le sud-est de l’Australie. Les grottes n’étaient pas utilisées comme lieux d’habitation au début de la période coloniale (milieu du XIXe siècle), mais comme retraites isolées pour l’accomplissement de rituels par les hommes et femmes-médecine aborigènes connus sous le nom de « mulla-mullung ».


Un rituel de guérison

Ces travaux de recherche, publiés dans Nature Human Behaviour ont été menés conjointement par des chercheurs de l’université Monash, en Australie, et des représentants du peuple des Gunaikurnai. Ils ont découvert des foyers miniatures enterrés, vieux de 11 000 et 12 000 ans, dont deux bâtons taillés dont la datation au radiocarbone a révélé une origine de 11 000 ans. Des recherches plus approfondies ont permis d’obtenir une image plus complète : les deux bâtons se trouvaient sur des foyers miniatures, des enceintes de pierres contenant des cendres d’herbe et de brindilles qui semblaient n’avoir brûlé que brièvement. Ces bâtons en bois de Casuarina, enduits de graisse animale ou humaine, correspondent à la configuration et au contenu des installations rituelles GunaiKurnai décrites dans l’ethnographie du dix-neuvième siècle. Ces bâtons étaient la pièce maîtresse de pratiques de guérison et de sorcellerie documentées dans les récits de l’anthropologue et naturaliste australien Alfred Howitt (1830-1908). Elle consistait à « attacher des cheveux ou un morceau de vêtement d’un malade à l’extrémité d’un bâton enduit de graisse humaine ou de kangourou », relate Science. Le bâton était ensuite jeté au feu, et la personne guérie.


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Pratiques de sorcellerie
En 1887, Alfred Howitt a publié des détails sur d’autres pratiques rituelles des GunaiKurnai et des groupes voisins du sud-est de l’Australie. Il a documenté les activités d’individus appelés « sorciers », « magiciens » ou hommes et femmes-médecine, qui pratiquaient la magie sur leurs victimes ou guérissaient les mourants – ce que l’anthropologue Adolphous P. Elkin (1891-1979) a appelé plus tard les hommes et femmes aborigènes « de haut niveau ». Chez les GunaiKurnai, ces personnes puissantes, les « mulla-mullung« , avaient une fonction au sein de la société GunaiKurnai acquise grâce à une formation rituelle. Les sorts jetés sur les victimes se déroulaient dans des endroits isolés, à l’abri des regards indiscrets. Howitt a décrit comment la magie était utilisée pour blesser une victime à l’aide d’un feu rituel et d’un objet en bois enduit ou attaché à un morceau de graisse humaine ou animale. « Dans toutes ces tribus, une pratique générale, je dirais presque universelle, a consisté à se procurer un objet appartenant à la victime visée. Un morceau de ses cheveux, une partie de ses excréments, un os qu’il a ramassé et laissé tomber, un lambeau de sa couverture d’opossum ou, à l’heure actuelle, de ses vêtements, suffisent. Si l’on ne peut rien obtenir d’autre, on peut observer la victime jusqu’à ce qu’on la voie cracher, sa salive étant alors soigneusement recueillie à l’aide d’un morceau de bois et utilisée pour la détruire… » Howitt a aussi décrit comment maudire les ennemis : « Pour faire du mal à un ennemi, un sorcier se procurait un objet associé à la victime visée […] et l’attachait à l’extrémité d’un bâton enduit de graisse humaine ou de kangourou. Le mulla-mullung plantait ensuite le bâton dans le sol à côté d’un petit feu et chantait le nom de la victime visée jusqu’à ce que l’objet tombe dans les flammes, jetant ainsi un sort funeste. »


La grotte de Cloggs contenait également plusieurs éléments archéologiques caractéristiques des installations et pratiques rituelles de ce peuple. Ces artefacts datent de différentes époques qui, ensemble, s’étendent sur quelque 23 000 ans, ce qui indique que la grotte a été utilisée pour toute une série d’activités au cours de cette période. Parmi les éléments, les chercheurs ont égaleent mis au jour : un arrangement de pierres, des stalactites brisés pendant la période de présence confirmée des Aborigènes, une meule portative avec des traces de cristaux de calcite broyés, des cristaux de quartz. Ces découvertes représentent 500 générations de transmission culturelle orale (soit douze mille ans) d’une pratique rituelle ethnographiquement documentée qui remonte à la fin de la dernière période glaciaire et qui contient les plus anciens objets en bois connus d’Australie. Une découverte sans précédent en Australie et dans le monde entier. L’ensemble des facteurs qui ont contribué à la survie des installations et de leurs objets en bois donne un aperçu inégalé de la résilience des traditions narratives GunaiKurnai et de la transmission des connaissances. Ces objets, ainsi que les preuves ethnographiques, prouvent la transmission d’idées et de pratiques sur une période de 12 000 ans.


Brigitte Postel



+ Crédit photo en-tête d’article : ©Pixabay



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