Coca Nasa, première entreprise autochtone de la région Cauca au Sud-Ouest de la Colombie, fondée par Fabiola Piñacué, fait de nouveau l’objet d’attaques par le géant mondial Coca-Cola. Historiquement, le peuple Nasa est un peuple millénaire qui s’est réfugié dans les montagnes pour résister à la conquête espagnole et qui défend encore aujourd’hui sa culture et la feuille de coca sacrée.
◆ La guerre est déclarée
Le quotidien colombien El Espectador a révélé en décembre que le cabinet d’avocats Brigard Castro de TCCC (The Coca-Cola Company) venait d’adresser un avertissement à Tierra de Indio SAS (le distributeur de la boisson), concernant l’utilisation du nom Coca-Pola. Ce n’est cependant pas la première fois que la multinationale se plaint de l’utilisation de ce mot, qui désigne pourtant un arbuste, poussant en Amérique du sud, dont les feuilles sont utilisées à des fins médicinales et rituelles aussi bien qu’à des usages quotidiens dans l’alimentation et la cosmétique. Il faut effectivement distinguer la feuille de coca qui fait partie des traditions ancestrales sud-américaines et la substance alcaloïde extraite de la plante coca pour une consommation illicite et un trafic mondial. L’objet de cette requête n’est cependant pas lié à ce dernier usage mais à une potentielle violation du droit de la protection des marques, comme l’assurent les avocats du groupe Coca-Cola. L’accent est mis sur un problème de similitude phonétique et orthographique des termes et il s’agit donc de concurrence déloyale, selon eux. Ainsi ils demandent la suppression du nom Cola Pola de tous types de supports publicitaires.
Dans le cas contraire, des actions en justice seront engagées.
◆ La résistance gravée dans les gènes
« Nous irons aussi loin que Coca-Cola nous mènera. Nous danserons sur n’importe quel air qu’ils joueront. S’ils nous menacent de notre existence même, nous résisterons », a indiqué dernièrement à l’AFP, David Curtidor, responsable juridique de Coca Nasa et porte-parole des Nasa.
Il y a plus de 25 ans, Fabiola Piñacué, aujourd’hui présidente de Coca Nasa, a commencé à faire découvrir puis à vendre une boisson à base de feuille de coca dans un thermos qu’elle transportait avec elle à l’Université de Bogota où elle étudiait les Sciences Politiques. Cette pionnière avait déjà à coeur de partager les coutumes et traditions de son peuple Nasa, qui exprime un profond respect pour la Terre-Mère : « uma kiwe », et agit pour préserver l’équilibre cosmique de son espace vital à travers ses pratiques ancestrales, sa pensée et sa vision du monde. Elle souhaitait profondément que les bienfaits de la culture et de la consommation des feuilles de coca soient reconnus dans son pays en proie à des grands trafics de drogue, diabolisant la plante-maîtresse, ses propriétés médicinales et sa valeur nutritionnelle. C’est ainsi qu’en 2005, elle fondait sa société avec l’autorisation de l’association Juan Tama Cabildos, qui l’accueillit comme un projet communautaire et approuva sa démarche pour faire reconnaitre la plante sacrée.
◆ L’histoire se répète…
Dès 2006, Coca-Cola déposait une première plainte contre la société de Fabiola pour l’appellation de sa boisson gazeuse Coca-Sek revendiquant déjà les droits de propriété sur le mot « coca ». Les Nasa, dont la défense était basée principalement sur la reconnaissance des droits autochtones de la feuille de coca, ont eu le dernier mot !
4 ans plus tard, la DNE – Dirección Nacional de Estupefacientes (Direction Nationale des Stupéfiants, en français) lançait une campagne publicitaire « Coca, Marihuana y Amapola matan… no cultivan la planta asesina !… » (« la coca, la marijuana et le pavot tuent… ne cultivez pas la plante qui tue ! », en français). Cette campagne, jugée offensante par les Nasa, les poussa à déposer une action en justice et la Cour suprême de justice colombienne ordonna le retrait de celle-ci, peut-on lire sur le site Cosa Nasa.
Dans l’article T-477, de 2012, la cour constitutionnelle colombienne a déclaré que l’utilisation de la feuille de coca faisait partie du patrimoine culturel et biologique des peuples autochtones et que l’utilisation d’un mot générique pour accompagner et composer le nom d’un produit était autorisée et donc le mot « coca », présent dans les produits proposés par Coca Nasa.
Afin de comprendre les intérêts de Coca-Cola aujourd’hui, le journal El Espectador indique avoir contacté la multinationale et ses représentants légaux en Colombie mais qu’aucune réponse n’a été donnée. Par ailleurs, le délai de réponse à l’avertissement imposé par Coca-Cola est aujourd’hui dépassé et Cola Nasa, entreprise en charge de 22 peuples autochtones de la communauté Nasa et générant un revenu brut d’environ 40 000 dollars par an, espère bien gagner une nouvelle fois.
« Une feuille pour la Paix, une feuille de moins pour la guerre » est la devise des Nasa !
Jessica Baucher
+ Pour suivre les actions de Fabiola Piñacué et la suite donnée à cette affaire
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