Le Canada est l’un des pays les plus riches au monde et accueille sur son sol une grande diversité de ressources naturelles et de communautés autochtones. Mais d’importantes inégalités dans l’accès à l’eau potable y règnent également. Les premiers à en pâtir sont les peuples premiers, dont les terres traditionnelles sont souvent soumises à des « avis d’ébullition » qui les empêchent de consommer l’eau courante directement. La communauté de Neskantaga vit sans eau potable depuis vingt-sept ans, un triste record.
Dans la communauté de Neskantaga, au nord de l’Ontario, l’eau qui sort du robinet n’est pas potable. Pour être bue sans risque de contagion par des bactéries ou virus, elle doit être bouillie au moins pendant une minute. Même procédure pour cuisiner avec, se brosser les dents ou nourrir les animaux domestiques. Depuis 1995, cette communauté est soumise à un « avis d’ébullition » à long terme. Concrètement, cela signifie que le gouvernement alerte les habitants qu’il n’est pas recommandé d’utiliser l’eau courante telle quelle. Elle est loin d’être la seule Première Nation à connaître une telle situation. Aujourd’hui encore, trente-quatre « avis d’ébullition » à long terme sont émis dans vingt-neuf communautés, principalement en Ontario. Les peuples natifs du Canada souffrent de cette injustice depuis plusieurs décennies et certains voient leur droit à l’eau, pourtant internationalement reconnu, violé.
Inquiétants risques sanitaires
Se laver ou nettoyer ses vêtements en toute sécurité est devenu compliqué pour les autochtones qui n’ont accès qu’à de l’eau impropre à la consommation. En plus des affections cutanées et des maladies de peau, dans certains territoires l’eau peut être contaminée par des métaux lourds toxiques, de l’uranium ou des parasites. D’après l’étude de Yellowhead Institute, pendant la crise du Covid-19, il y avait deux fois plus de cas au sein des populations autochtones qui utilisent de l’eau en citernes que dans celles qui ont de l’eau courante à domicile. Sans oublier les pénibles allers-retours pour remplir des bidons d’eau potable à plusieurs kilomètres de leurs terres. « Nous sommes le tiers-monde du Canada. Les gens ne le réalisent pas, mais moi, je l’ai réalisé dès ma naissance », raconte Gary Quisess, un habitant de la communauté de Neskantaga.
Sur le territoire mohawk de Tyendinaga (Ontario), des eaux insalubres, de couleur marron voire noire, coulent des robinets. C’est ce que dénonce l’activiste autochtone Brennen McGuire dans des vidéos (Tiktok). Où il vit, près de quatre-vingt-dix foyers ne sont pas encore raccordés au nouveau système de traitement des eaux. Il raconte : « J’ai emménagé […] il y a environ un an et demi. Je me souviens avoir dit à ma colocataire : « L’eau ne sent pas très bon, et elle n’est pas très belle non plus ». J’ai pris une douche et j’ai vu de l’eau noire sortir du pommeau. Elle m’a alors dit que la réserve était sous le coup d’un avis d’ébullition d’eau à long terme depuis 2008 ».
Colonisation impropre
Il y a quelques siècles, les Premières Nations du Canada étaient déplacées par les colons dans des zones où l’approvisionnement en eau se révélait insuffisant. Un problème qui a perduré à cause d’un manque d’infrastructures et de financement, alors que le gouvernement fédéral est responsable de la gestion de l’eau des réserves autochtones. Les gouvernements successifs sont accusés de financement inadéquat pour construire et entretenir des stations de traitement de l’eau potable et des eaux usées, ainsi que des systèmes de canalisations. D’après le Syndicat Canadien de la Fonction Publique (SCFP), « le gouvernement fédéral a toujours sous-financé les réserves, notamment pour les infrastructures d’aqueduc et d’égout. Les gouvernements successifs ont nui à l’accès à l’eau potable des peuples autochtones de bien d’autres façons ». Les obstacles logistiques dus au caractère isolé de ces terres sont d’ailleurs souvent mis en avant. Mais d’après la cheffe régionale pour l’Ontario de l’Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald, les efforts mis en œuvre ne sont tout simplement pas suffisants : « Si ça se passait en banlieue de Toronto, on n’aurait même pas eu à avoir cette discussion, les choses auraient été réglées depuis longtemps ».
Les peuples autochtones continuent de se battre pour protéger les sources d’eau de leurs terres, mais elles sont de plus en plus colonisées et polluées par les entreprises. Nestlé a ainsi puisé environ 3,6 millions de litres d’eau dans les aquifères de Grand River (Ontario) – affectant par ailleurs les eaux souterraines-, revendus en bouteilles aux autochtones à des prix élevés. Les Premières Nations n’ont pas eu la possibilité de donner leur avis quant à cette décision, puisque les provinces ont le droit légal de décider comment utiliser l’eau sur leur territoire. Ils ont donc été forcés de parcourir des dizaines de kilomètres pour remplir des bidons d’eau, ou acheter des bouteilles d’eau à Nestlé.
10 000 jours sans eau potable
Depuis vingt-sept ans et quatre mois, la communauté de Neskantaga n’a pas accès à l’eau potable. Isolés dans le nord de Thunder Bay, depuis 10 000 jours, les trois-cent-soixante-quatorze résidents autochtones doivent constamment faire bouillir leur eau avant de l’utiliser. Selon le porte-parole du ministère des Services aux Autochtones, la construction du système de traitement de l’eau est presque terminée et des analyses vont être faites. L’eau devrait sortir des robinets en septembre 2022. Mais les autochtones y croient difficilement, car ce n’est pas une première. En 1993 déjà, un système de traitement de l’eau avait été construit pour assainir l’eau du lac Attawapiskat qui contient des matières organiques en décomposition. Deux ans plus tard, il s’est avéré défectueux, d’où l’installation d’un « avis d’ébullition ». Ce système a été modernisé en 2016, mais quatre ans après, une substance huileuse y est découverte, causant l’évacuation de la communauté.
Selon Justin Trudeau, premier ministre du Canada, de nombreuses communautés n’auront pas de solution à long terme avant 2026. Pourtant, en 2015, il s’était engagé à mettre fin aux « avis d’ébullition » à long terme d’ici 2021. centre-vingt-sept d’entre eux ont été retirés depuis.
« La méfiance du robinet »
« Nous avons entendu ce genre de promesses plusieurs fois au cours du dernier quart de siècle, et rien n’a changé pour autant », explique le chef de Neskantaga, Wayne Moonias. Plusieurs membres de la communauté doutent du retour de l’eau potable sur leurs terres, n’ayant plus confiance dans les autorités. Il ajoute : « La méfiance du robinet est un réflexe profondément ancré dans l’esprit des membres de la communauté », certains jeunes ayant des problèmes de peau parce qu’ils se sont lavés avec cette eau. Mais la situation pourrait évoluer, comme pour la Première Nation de Shoal Lake 40 (Ontario). La communauté a enfin eu accès à l’eau potable en septembre 2021, après 24 ans d’« avis d’ébullition »…
Mariane Riauté
En savoir plus :
- « Carte des avis concernant la qualité de l’eau potable à long terme visant les systèmes d’aqueduc publics dans les réserves » – Gouvernement du Canada
- « Avis d’ébullition : une Première Nation franchit le cap des 10 000 jours » – Radio-Canada
« L’eau, c’est la vie : écouter, apprendre, agir » – Syndicat canadien de la fonction publique
Une nouvelle réserve Mi’kmaq au Canada – Article Natives
Photo en tête d’article : Derek Moonias, membre de la communauté de Neskantaga, fait tous les deux jours une tournée pour livrer des bouteilles d’eau aux habitants. Crédit photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
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