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Bruno Pereira, à gauche, et Dom Phillips, à droite. La disparition des deux hommes inquiète ©Survival International

Disparition inquiétante en Amazonie : défendre les terres autochtones au péril de sa vie

Alors qu’ils menaient des recherches sur la protection de la forêt amazonienne, le journaliste britannique Dom Phillips et son guide brésilien Bruno Pereira ont disparu depuis le dimanche 5 juin. Des biens personnels qui pourraient leur appartenir, ainsi que des restes humains, ont été retrouvés dans la forêt. Si leur identification est encore en cours, l’issue de cette disparition inquiétante semble dramatique pour ces deux hommes qui connaissaient bien cette région, dans laquelle les trafics et exactions contre les peuples racines se multiplient.

Vus pour la dernière fois à bord d’un bateau dans une partie reculée de la région Javari de l’État d’Amazonas, le journaliste Dom Phillips et l’expert des tribus isolées d’Amazonie Bruno Araújo Pereira, n’ont plus donné signe de vie depuis bientôt deux semaines. Dom Phillips, passionné par l’Amazonie, vit depuis quinze ans au Brésil et devait, selon The Guardian –avec qui il collabore-, faire son dernier voyage dans la forêt. Bruno Pereira est quant à lui, défenseur des droits des autochtones et expert de la Fondation nationale de l’Indien (Funai), l’organisme chargé des affaires autochtones au Brésil.

Les deux hommes menaient des recherches sur la protection de la forêt amazonienne pour la Fondation Alicia Patterson et un livre sur la lutte pour sauver la forêt amazonienne. La région est l’un des plus grands territoires autochtones du Brésil, accueillant environ vingt-six groupes ethniques, dont dix-neuf isolés, selon l’ONG Instituto Socioambiental. D’après l’Union des organisations indigènes de la Vallée Javari (UNIVAJA) et l’Observatoire pour les droits humains des peuples indigènes isolés et récemment contactés (OPI), le binôme a quitté Atalaia do Norte (Amazonas) dans l’optique de recueillir les témoignages d’habitants près d’une base de la Funai. Ensuite, le 3 juin, ils ont rejoint le lac Jaburu. Deux jours plus tard, alors qu’ils étaient sur le chemin du retour, ils se sont arrêtés dans la communauté de São Rafael afin de discuter avec un chef local de la création de patrouilles indigènes contre les invasions de terres devenues fréquentes. Ce dernier étant absent, les deux hommes ont finalement pris le bateau pour rentrer à Atalaia do Norte, où ils étaient attendus… Ils n’ont jamais atteint la municipalité.

Découverte de biens personnels et de « matériel organique »

Des opérations de recherches ont été lancées par la police brésilienne et des activistes autochtones. L’UNIVAJA a d’ailleurs mentionné le rôle clé dans les recherches de leurs amis et camarades autochtones. Selon le quotidien O Globo, le 12 juin, la police brésilienne a retrouvé des effets personnels qui appartiendraient aux deux hommes : des vêtements, des chaussures, un ordinateur, des livres ainsi qu’un document d’identité. Peu de temps après, selon The Guardian, la famille a été avertie par l’ambassadeur du Brésil au Royaume-Uni que deux corps ont été retrouvés. Paul Sherwood, le beau-frère de Dom Phillips, a expliqué au journal : « Il n’a pas dit où les corps avaient été retrouvés. Il a juste expliqué qu’ils étaient dans la forêt et qu’ils étaient attachés à un arbre et qu’ils n’avaient pas encore été identifiés ». Des informations étaient alors contradictoires. Le président du Brésil Jair Bolsonaro, favorable à l’exploitation minière et agricole de réserves autochtones en Amazonie– qui est accusé d’avoir laissé la criminalité prospérer dans la forêt, a annoncé à la radio CBN la découverte de « viscères humains […] flottant sur le fleuve » (selon la police « aucun ADN humain n’a été détecté »).

La police fédérale affirmait alors qu’aucun corps n’avait été trouvé, ne mentionnant que « du matériel organique […] en cours d’examen » découvert dans une rivière près d’Atalaia do Norte. De leur côté, les activistes autochtones, qui ont participé à l’effort de recherche, affirmaient ne pas avoir d’informations sur la découverte de corps.

Les craintes d’une attaque criminelle se confirment

La forêt amazonienne est sujette à de nombreux trafics miniers qui violent les terres autochtones ©Survival International

Bruno Pereira et Dom Phillips ont une excellente connaissance de la région, ce qui tend à confirmer les soupçons d’une disparition inquiétante. Paul Sherwood a ainsi alerté, lors d’un entretien avec The Guardian : « Ils avaient un bon équipement de communication et ils avaient une bonne connaissance locale, de sorte que leur disparition et leur incapacité à refaire surface suggèrent définitivement des événements sinistres ».


La région Javari (Amazonas) est une zone connue pour la multiplication, tout particulièrement ces dernières années, des exactions contre les autochtones, pour les trafics de drogues, mais aussi la pêche et la chasse illégale. La disparition des deux hommes a donc lieu alors qu’un conflit est en cours entre les groupes autochtones et les défenseurs de la forêt tropicale ; et les gangs et intérêts illégaux de l’exploitation forestière et minière. Selon des groupes de défense des droits autochtones, il y a dans la région des individus armés et des personnes qui ont menacé Dom Phillips et Bruno Pereira avant leur disparition.

Bien que les meurtriers présumés de Bruno et Dom soient désormais en détention, c’est le gouvernement brésilien qui a créé les conditions nécessaires pour que cette tragédie se produise. Ses tentatives génocidaires d’ouvrir les territoires autochtones aux envahisseurs et de récompenser les criminels en toute impunité ont entraîné une montée en flèche de la destruction des forêts et une violence effroyable à l’encontre de ceux — principalement les communautés et les leaders autochtones — qui tentent d’y mettre un terme. Bruno et Dom sont les dernières victimes de cette guerre menée par le président Bolsonaro et ses alliés de l’agrobusiness. Avant eux, Paulo Paulino Guajajara, Ari Uru Eu Wau Wau, Alex Lopes Guarani, Arokona Yanomami et Original Yanomami ne sont que quelques-unes des personnes autochtones qui ont été assassinées ces dernières années. Aucun de leurs meurtriers n’a été traduit en justice.

Survival International

Un suspect, Amarildo da Costa de Oliveira, a été interrogé par les autorités brésiliennes et a reconnu son implication dans ce crime. En effet, près de son domicile, des effets personnels pouvant appartenir aux disparus ont été découverts dans un sac à dos attaché à un arbre sous l’eau. Plusieurs témoins auraient également vu l’homme filer à vive allure en bateau dans la même direction que Dom Phillips et Bruno Pereira. Sans oublier que des traces de sang ont été trouvées sur son bateau. Elles ne correspondent pas à l’ADN de Dom Phillips, mais d’après la police des « des examens complémentaires » sont nécessaires pour déterminer s’il s’agit de celui de Bruno Pereira. D’après les autorités, ce dernier aurait fait partie d’un groupe à l’origine de menaces contre les deux hommes.

La nouvelle est tombée ce mercredi 15 juin. Amarildo da Costa de Oliveira a reconnu avoir enterré leurs corps, enfermés dans deux cercueil de bois, sans préciser son rôle dans ce crime. Une annonce partagée par le chef de la police fédérale de l’État d’Amazonas lors d’une conférence de presse à Manaus : « Hier soir, nous avons obtenu les aveux du premier des deux suspects arrêtés (…) qui a raconté en détail comment le crime a été commis et nous a dit où les corps avaient été enterrés ». Des fouilles sont en cours, mais des « restes humains » y ont déjà été retrouvés. « Dès que nous aurons pu vérifier grâce à l’expertise qu’il s’agit bien de restes des corps de Dom Phillips et Bruno Pereira, ils seront restitués aux familles », a-t-il ajouté. La police a depuis annoncé qu’ils ont « 99% de probabilité » d’appartenir aux deux hommes.

Les recherches se poursuivent concernant le mobiles et les circonstances du crime. Suite à cette avancée dans l’enquête, Alessandra Sampaio, l’épouse brésilienne du journaliste, s’est exprimée dans un communiqué : « Aujourd’hui, nous débutons aussi notre combat pour la justice (…) Nous n’aurons la paix que quand seront prises les mesures nécessaires pour que de telles tragédies ne se reproduisent pas ». En effet, d’après l’ONG Human Rights Watch (2019), trois cents défenseurs de la forêt amazonienne ont été tués en dix ans, pour seulement quatorze procès… Survival International s’insigne : « Nous demandons au gouvernement brésilien de poursuivre en justice les meurtriers de Bruno et Dom, ainsi que ceux des nombreux autochtones assassinés pour avoir défendu leurs terres »,

L’équipe de surveillance d’UNIVAJA fait du bon travail. Le gouvernement essaie de criminaliser UNIVAJA […] la persécution et l’intimidation ne sont pas seulement dirigées contre moi, il y a beaucoup de personnes avec moi, mais tout cela passera, j’espère, tout cela passera. Cela a été presque 4 années très intenses […] Voyons ce que nous reconstruirons après. Je suis là, en résistance, attaquée, mais je n’abandonnerai pas.

Dom Phillips à Survival International

Pour en savoir plus :

Mariane Riauté

Photo en tête d’article : Bruno Pereira, à gauche, et Dom Phillips, à droite. La disparition des deux hommes inquiète ©Survival International

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