Alors que les membres des Premières Nations s’affirment en revendiquant leur identité autochtone comme une fierté, de plus en plus d’individus font croire qu’eux aussi appartiennent aux peuples racines. Ces dernières années, plusieurs cas d’usurpation d’identité autochtone, ou d’appropriation culturelle, ont été observés à travers le monde. Des comportements évidemment problématiques.
N’est pas natif qui en a simplement l’envie. Il y a pourtant de plus en plus de personnes qui se réclament d’une identité autochtone, sans pour autant entretenir un quelconque lien avec les peuples racines. Une telle imposture sonne comme un manque de respect important pour les membres des Premières Nations, comme l’observe Krysta Alexon, membre de la Première Nation Crie de Kahkewistahaw (Canada) : « [Être autochtone], ce n’est pas un jeu. À la fin de la journée, [un imposteur] peut enlever son costume. Mais [un Autochtone] ne peut pas enlever les méfaits du colonialisme ». La plupart du temps, sans réelles connaissances de la culture et du mode de vie de ces communautés, les usurpateurs colportent une image fausse du peuple dont ils se réclament.
C’est ce qu’a fait Archie Belaney, « Grey Owl », en devenant l’un des premiers usurpateurs de l’identité autochtone. Bien qu’il ait contribué à sensibiliser la société aux questions environnementales, il a alimenté une image stéréotypée qui, aujourd’hui encore, cache la réalité vécue par les peuples racines du Canada. Se disant d’une mère autochtone et d’un père coureur des bois écossais, il représentait pourtant aux yeux du grand public ce que devait être un Indien : défenseur de la nature, des grands espaces et des valeurs autochtones. Celui qui s’habillait en chef indien a menti sur ses origines et réécrit des pans entiers de sa vie. Il allait jusqu’à se teindre les cheveux et la peau ; et récupérait des savoirs au sein de plusieurs familles autochtones qui l’accueillaient.
La mascarade aux gains
Bien souvent, ces usurpateurs s’approprient une identité autochtone qui n’est pas la leur pour en obtenir les avantages, tout en évitant les obstacles que connaissent les autochtones au quotidien. « Quand une personne va jusqu’à changer sa propre identité, c’est généralement pour obtenir quelque chose derrière qui peut être de l’ordre pécuniaire ou pour avoir accès à un certain capital social ou culturel », constate dans son essai le professeur Darryl Leroux, du Département de justice sociale et d’études communautaires de l’Université Saint-Mary’s à Halifax (Nouvelle-Écosse).
Ainsi, dans le grand Nord blanc, certaines universités proposent des bourses et des subventions pour les étudiants autochtones. De fait, ces usurpateurs mentent sur leur identité afin d’en profiter, au risque de prendre les places des véritables natifs, voire d’accéder à des postes qui ne leur sont pas réservés. C’est le cas de Carrie Bourassa, qui était professeure au département de santé communautaire et d’épidémiologie à l’Université de la Saskatchewa, et directrice de l’Institut de la santé des Autochtones. Pendant plus de vingt ans, elle se présentait comme Métisse, Anichinabée et Tlingit. Mais une enquête sur sa généalogie a révélé que les histoires qu’elle racontait sur ses origines étaient toutes fausses. Cette vérité a choqué ceux qui la tenaient en haute estime, dont des étudiants, des personnes qui assistaient à ses conférences et des aînés qu’elle a rencontrés. Selon Raven Sinclair, professeure en travail social à l’Université de Regina, elle a usurpé les ressources d’individus qui avaient choisi la même trajectoire professionnelle qu’elle : « Tout cela se résume à un gain matériel et à un poste, à du pouvoir, de l’autorité et un rôle. Ça se résume souvent à l’argent. Il y a des gains à faire, et ces gains sont une motivation qui pousse les gens à poursuivre leur mascarade ».
Qui peut s’identifier légitimement comme autochtone ?
Il n’existe pas de réponse facile à cette question. Ascendant d’autochtones, liens ancestraux, éducation indigène… Comment peut-on juger l’autochtonie d’une personne ? Ici réside souvent la difficulté. Doit-on être né dans une communauté native ? Faut-il avoir du sang autochtone ? La reconnaissance de ses pairs est-elle plus importante ? Les individus qui quittent la communauté pour faire des études en ville gardent-ils leur identité ? Alors que le terme « autochtone » évolue au fil des années et semble devenir plus vague -presque fourre-tout- il permet plus aisément à des « hommes blancs » de vanter de présumées racines.
Pour être officiellement identifié comme un membre des Premières Nations au Canada, du moins légalement et administrativement, il est nécessaire d’obtenir une carte et un statut autochtone. Il semblerait donc que ce soit le gouvernement fédéral qui définisse les critères pour reconnaître l’identité de quelqu’un. Ils sont pourtant souvent subjectifs, comme le degré d’acceptation de l’individu par une communauté. La définition légale d’un autochtone est complexe puisqu’elle est liée à la Loi sur les Indiens qui date de l’époque coloniale. « C’est une identité qui nous a été imposée par une autre nation, la nation canadienne », raconte l’analyste Alexis Wawanoloath. Avec cette loi, de nombreuses femmes ont involontairement perdu leur statut jusqu’en 1985 parce qu’elles épousaient des non-autochtones. Elles doivent aussi prouver l’identité du père de leur enfant pour qu’il soit reconnu comme autochtone. Certains natifs refusent donc la carte par convictions, et au XIXe siècle ceux qui obtenaient un diplôme universitaire ou un titre professionnel (médecin, avocat…) perdaient leur citoyenneté autochtone.
En 2003, la Cour suprême du Canada a défini le « test Powley » qui vise à déterminer les critères pour qu’une personne soit reconnue comme métisse. Ce test aurait encouragé le phénomène d’usurpation identitaire en élargissant la définition de l’identité autochtone, laissant à d’avantage d’individus la possibilité de revendiquer des droits autochtones. Le tribunal avait pourtant admis la difficulté de déterminer l’appartenance à une communauté métisse et la nécessité d’évaluer chaque affaire au « cas par cas ». Quoi qu’il en soit, Darryl Leroux dresse un constat inquiétant de l’auto-identification dans le pays : « Entre 2001 et 2016, le nombre d’individus s’identifiant comme métis au Québec a plus que quadruplé, passant de 15 850 à 69 360 ».
Mariane Riauté
Image de tête : Qui sont ces personnes qui usurpent l’identité des autochtones ? ©Pixabay
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