Alors que le peuple autochtone des Baduy, qui vit reclus près de la capitale indonésienne, réclame au gouvernement de couper le réseau Internet dans la zone montagneuse de ses terres ; des milliers d’autochtones d’Amazonie, eux, quittent la forêt pour vivre une nouvelle vie dans les villes environnantes. Ces deux tendances concernent de nombreux Autochtones partagés entre leurs sagesses ancestrales et les sirènes d’un monde connecté qui prétend donner autant aux hommes qu’il reprend à la nature.
◆ Déconnexion demandée
Le peuple Baduy composé de vingt-six mille personnes est divisé en deux groupes : les Baduy Luar dit « peuple de l’extérieur » et les Baduy Dalam, dits “de l’intérieur”. Les premiers commercent avec le monde extérieur et les seconds préservent leur culture animiste en veillant à ce que la modernité ne pénètre pas leurs villages sacrés qu’ils considèrent comme la matrice du monde. Ces derniers ont envoyé une lettre à l’administration régionale, le 1er juin dernier, réclamant de “couper l’accès à Internet ou de détourner le signal des tours de télécommunication à proximité de leurs terres afin qu’il ne les atteigne pas”, rapporte le journal local Jakarta Post. Ils considèrent que ces tours pourraient avoir un effet négatif sur les nouvelles générations en les détournant de leur mode de vie traditionnel et en les amenant à faire du commerce, à utiliser les nouvelles technologies et à laisser s’installer la tentation de l’argent et ce que celle-ci pourrait engendrer. La complexité pour le gouvernement indonésien est de réussir à dissocier les zones de coupures entre la région des Baduy Luar dit « peuple de l’extérieur » qui représentent environ vingt-quatre mille personnes connectées, réparties dans soixante-et-un villages et celle des Baduy Dalam, dits “de l’intérieur” qui ne sont que deux-mille et occupent quatre-mille hectares de forêts, déclarés « site de conservation culturelle » par le gouvernement en 1990.
◆ L’appel de la ville
Au Brésil, de nombreux autochtones quittent leurs villages pour s’engager en ville, espérant vivre « comme des Blancs », accéder à l’éducation qui leur permettra de s’émanciper et d’enrichir, plus tard, leur communauté grâce à leurs nouvelles connaissances. Le constat est cependant très différent puisque la pauvreté urbaine, l’exposition aux drogues, la perte des langues ancestrales, l’hostilité des résidents non autochtones, l’exploitation et la concurrence avec les locaux et même entre eux, les attendent très souvent. Des milliers d’entre eux migrent aujourd’hui, à la recherche d’une meilleure éducation mais aussi dans l’espoir de recevoir une prestation sociale fédérale qui les piège dans une pauvreté urbaine difficile. Cet exode laisse des villages désertés, en proie à l’augmentation de l’exploitation minière illégale et à la déforestation de la plus grande forêt tropicale humide du monde, capable d’endiguer le changement climatique actuel. L’Amazonie a en effet subi d’énormes pressions sous le mandat du président Jair Bolsonaro. L’Union des Peuples Autochtones de Vale do Javari (Univaja) a récemment mis en place une équipe personnelle de surveillance pour se protéger contre les bûcherons, les mineurs et les pécheurs illégaux… ce qu’exerçaient auparavant les habitants des villages . Ces nouvelles tensions sont très certainement à l’origine des meurtres récents de l’expert autochtone Bruno Pereira et du journaliste britannique Dom Phillips alors qu’ils étaient dans la vallée de Javari afin d’aider à la création du système de surveillance d’Univaja. Depuis la défaite de Bolsonaro, le président Lula a tenté de réduire ces pressions en créant un ministère des Affaires autochtones qui vise à protéger les communautés autochtones. Lors de son premier mandat, il avait fondé un programme fédéral : Bolsa Familia dans le but de fournir de l’argent aux familles qui acceptaient de vacciner leurs enfants et de les envoyer à l’école. Des dizaines de milliers de familles autochtones avaient alors commencé à fréquenter les villes, motivés par ses subventions mais cela a été désastreux car, peu habitués à manipuler de l’argent, ils ont été victimes de multiples arnaques.
Ce dilemme qui questionne de nombreux peuples-racine est loin d’être simple à résoudre puisque ni l’un ni l’autre des choix qui leur sont offerts aujourd’hui ne garantissent leur sécurité, leur épanouissement et la pérennité de leurs sagesses ancestrales…
« Que peut un homme, ici, dans les villes d’Europe ou d’ailleurs, pour tenter de sauver les matins du monde ? Peut-être qu’il peut, comme les Waunanas de la forêt, simplement danser et… faire sa musique, c’est à dire parler, écrire, agir, pour tenter d’unir sa prière à ces hommes et ces femmes autour de la pirogue. Il peut le faire, et d’autres viendront à lui, écartant la menace (…) Ecrivons, dansons contre le déluge. », J-M. Le Clézio
Jessica Baucher
+ Crédit photo en-tête d’article : ©Pixabay
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