Une étude publiée il y a quelques semaines dans la revue Science, met en lumière les vestiges d’un vaste réseau de cités densément peuplées, identifié en forêt amazonienne grâce à la technologie Lidar. Cet urbanisme est le rare témoignage d’une civilisation agraire disparue, qualifiée de « complexe » par les experts et qui a prospéré il y a environ 2 500 ans dans la vallée de l’Upano, en Équateur. Cette découverte secoue toutes les visions de l’archéologie sud-américaine….
◆ Sur les traces d’Upano
La plus grande forêt tropicale du globe ne demeure pas dépourvue de toute trace de civilisation. Plusieurs archéologues, dont le chercheur français Stéphen Rostain, directeur au CNRS et premier auteur d’une étude parue dans la revue Science, ont découvert un très grand réseau de villes et de jardins. Représentant plus de 1 000 kilomètres carrés, ce site se trouve dans la vallée de l’Upano, en Équateur, au pied de la cordillère des Andes, et il comprend une vingtaine d’agglomérations, connectées par des routes. À 5260 mètres d’altitude, au nord de ce site, se trouve le volcan Sangay, en éruption depuis des décennies et dont les rejets fertilisent les terres environnantes. Il y a 25 ans, Stéphen Rostain a identifié les premières traces de la civilisation appelée Upano : « Cela fait bientôt quarante ans que je travaille sur l’archéologie amazonienne. À l’époque, les archéologues se précipitaient comme des lucioles sur les pyramides mayas et les temples incas, mais peu s’intéressaient à l’Amazonie. Beaucoup pensaient que, sur deux mille ans et plus, la région n’avait été peuplée que par des tribus similaires à celles d’aujourd’hui », a-t-il déclaré lors d’une interview avec le journal du CNRS. À partir de 2021, afin de réussir à identifier l’étendue de ces vestiges, il a utilisé une technologie laser appelée Lidar. : « J’avais observé la présence de tertres, de plateformes. Et des centaines de chemins creusés de 5 m de profondeur dont je pensais qu’ils pouvaient mener vers des implantations similaires… Mais je n’avais pas de vision d’ensemble ».
◆ Une technologie de pointe
Le Lidar, également connu sous le nom de télédétection, est un dispositif installé sous un petit avion. Celui-ci survole à plusieurs reprises à basse altitude la zone à cartographier, émettant des centaines de milliers d’impulsions lumineuses par seconde. Les points qui pénètrent la forêt atteignent le sol et rebondissent vers l’appareil, qui mesure ensuite l’altitude. En utilisant cette technologie qui mesure le temps que prend un faisceau lumineux pour atteindre un obstacle, les chercheurs ont cartographié la zone, couvrant un complexe de 300 km², et ont élucidé l’organisation de la vie quotidienne dans cette région : « Le Lidar nous a beaucoup aidés, mais il ne remplace pas les fouilles classiques. Nous avons ainsi retrouvé dans le sol enterrés au niveau des maisons des restes de végétaux et des graines brûlées de diverses plantes consommées : manioc, patate douce, fruits, haricots et, surtout, du maïs »..
◆ À la recherche d’un temps perdu
L’imagerie obtenue grâce au système Lidar dévoile la présence de plus de 6 000 monticules, des plateformes rectangulaires en terre qui faisaient office de fondations pour les habitations, les préservant ainsi de l’humidité du sol. Entre 500 ans avant notre ère et 300 à 600 ans après, des premières plateformes auraient été édifiées, englobant ainsi la période de l’Empire romain. Bien que d’autres villages préhispaniques aient été exhumés en Amazonie, ceux-ci étaient plus récents, datant de 500 à 1 500 de notre ère, et moins étendus. Ce qui est encore plus impressionnant, ce sont les cités découvertes, traversées par d’importantes rues rectilignes, disposées à angles droits, semblables à celles de New York : « L’insistance à passer outre tous les obstacles, alors qu’il serait souvent plus simple de les contourner, suggère fortement que ces routes avaient une fonction symbolique. Elles peuvent avoir été un moyen d’imprimer dans le sol les relations entre voisins, et servir à des processions et des visites ritualisées, comme on peut encore le voir dans les villages annulaires du haut Xingu en Amazonie brésilienne », précise Stéphen. Des cités présentent une large artère centrale, rappelant la disposition du site archéologique de Teotihuacan au Mexique, servant à rassembler les habitants des villages. Ces communautés étaient caractérisées par une densité de population importante, avec un nombre estimé de plusieurs milliers d’habitants – une étude statistique est actuellement en cours pour obtenir une estimation plus précise. De plus, de petites parcelles de terrain indiquent clairement que la société était agraire, tirant parti de chaque espace disponible pour en maximiser la productivité. La civilisation, nommée Upano d’après la rivière qui traverse la région, a connu une période de prospérité s’étalant de -2 700 à 400-600 de notre ère. Bien que les archéologues ne possèdent aucun document écrit pour étayer leurs connaissances, l’analyse des sites offre des indices significatifs.
Stéphen Rostain souligne la nécessité de changer la perception des autochtones d’Amazonie et de réviser leur histoire. Il nous rappelle que les populations actuelles en Amazonie sont les survivants de la colonisation hispanique, qui a décimé 85 % des populations amérindiennes avec l’introduction de virus inconnus. À l’époque précolombienne, l’Amazonie abritait une diversité ethnique et culturelle estimée entre 8 et 10 millions de personnes, avec des villes décrites par les premiers explorateurs s’étendant sur plusieurs kilomètres le long du fleuve. L’archéologie du paysage révèle des traces de ces anciennes cités. L’Amazonie, étendue sur 7 millions de km2 à travers neuf pays, offre encore un vaste territoire à explorer.
« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux .», Marcel Proust
Jessica Baucher
* Crédit photo en tête d’article : Image Lidar du site de Kunguints, dans la vallée d’Upano, en Équateur. © Lidar A. Dorison et S. Rostain
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