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Honduras : Les Garifunas luttent pour récupérer leurs terres ancestrales


Les Garifunas sont un des peuples d’Amérique Centrale répartis en 38 communautés tout au long de la côte des Caraïbes, principalement au Honduras où on dénombre entre 50 000 et 100 000 personnes. Ils possèdent collectivement de vastes étendues de terres côtières riches où ils pratiquent une agriculture de subsistance. Mais depuis les années 90, leurs terres ont été illégalement envahies par l’expansion des plantations de palmiers à huile, les développements touristiques et les projets hydroélectriques. De nombreux hôtels de luxe, des resorts et des golfs se sont construits sans leur consentement le long de cette côte ensoleillée, empiétant directement sur les cimetières ancestraux et les terres agricoles de la communauté Garifuna qui se bat pour les récupérer et obtenir des titres de propriété.



 Contexte historique

Selon leur histoire, ils sont les descendants des rescapés du naufrage en 1635, près de l’île de Saint-Vincent, de deux navires négriers transportant des esclaves vers les Antilles. Les captifs s’échappèrent du navire et atteignirent l’île, où ils furent accueillis par les Caraïbes. Au fil du temps, d’autres esclaves les rejoignirent, la nouvelle s’étant répandue dans les Antilles que cette île était un refuge pour les esclaves marrons. Au cours des ans, la plupart des réfugiés épousèrent des Caraïbes, ce qui créa un peuple métissé, appelé en français Caraïbes noirs. Par opposition aux métissés Arawaks appelés par les Français Caraïbes rouges (par allusion aux Peaux Rouges). Entre 1763 et 1783, les Britanniques et les Français se disputèrent le contrôle de Saint-Vincent. Les Britanniques tentèrent plusieurs fois d’occuper l’île mais les Garifunas se révélèrent de forts bons guerriers et réussirent à les repousser. En 1782, le traité de Versailles accorda aux Anglais la possession de Saint Vincent, les Garifunas furent alors livrés à leurs ennemis. Certains, soutenus par la France, tentèrent de se soulever, mais la révolte échoua et la France les laissa tomber. Les Anglais ne pouvaient accepter que des Noirs soient libres sur l’île vaincue. En 1796, afin d’empêcher toute nouvelle résistance, ils déportèrent les Garifunas qui ressemblaient davantage aux Africains, les Caraïbes noirs, vers la Jamaïque et vers l’île hondurienne, infertile et trop petite, de Roatan, après avoir chassé la garnison espagnole qui occupait l’endroit. Sur les 5080 Garifunas embarqués, les Anglais ne laissèrent sur l’île que 2248 Garifunas, les autres ayant péri au cours du long voyage. Ne pouvant survivre sur cette île, c’est alors qu’ils s’établirent le long de la côte atlantique de l’Amérique centrale (Belize, Honduras, Nicaragua et Guatemala).


©Pixabay


◆ Inégalités, discrimination et luttes
Depuis des décennies, les Garifunas subissent les mêmes discriminations et inégalités qu’endurent les peuples amérindiens. Les organisations de défense des droits de l’homme et les communautés garifunas, qui se battent pour obtenir justice et récupérer leurs terres ancestrales, affirment que les menaces, la criminalisation et la violence à leur encontre ont augmenté. Et quand ils parviennent à prendre possession des terres qui leur appartiennent, ils sont confrontés à un autre scénario, celui de la persécution. Ajoutons à cela que leur territoire a été infiltré par des groupes criminels qui transportent de la drogue via la côte. Cette situation a entraîné de nombreux décès, a détruit le tissu social de certaines communautés, et a condamné des populations à la faim, car les zones qui étaient auparavant utilisées pour l’agriculture de subsistance ont été récupérées par les mafias pour la culture et la production de coca et d’autres drogues.


« En 1978, les Garifunas ont créé l’organisation OFRANEH (Honduran Black Fraternal Organisation) et ont attaqué le Gouvernement hondurien en justice pour violation des droits humains. Malgré trois arrêts favorables de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, l’accaparement des terres par les entreprises, la faiblesse institutionnelle et le laxisme dans l’application de la législation ont empêché les Garifunas de jouir d’une possession et d’une protection effectives de leur territoire », explique le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).


Garifunas et organisations des droits de l’Homme ont déposé de nombreuses plaintes pour des violations de droits commises sur leurs terres. En 2003, après des années d’actions en justice devant les tribunaux nationaux sans résultat, ils ont saisi la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En 2015, cette Cour interaméricaine a statué que le gouvernement hondurien avait violé les droits des communautés garifunas de Triunfo de la Cruz à Atlántida et de Punta Piedra à Colón et a ordonné la restitution des droits fonciers aux communautés. Une troisième condamnation a été prononcée en 2023 pour des dommages causés à la communauté de San Juan à Atlántida. Cependant, dix ans se sont écoulés depuis la première décision mais l’État ne s’est toujours pas conformé à l’arrêt. Des titres de propriété sur des terres garifunas continuent à être vendus à des investisseurs privés.


◆Manifestations et sit-in
En 2024, des manifestations dans la capitale du pays et un campement de trois jours devant le palais présidentiel du Honduras ont été organisés par les associations de soutien aux Garifunas. Pour contribuer à l’application des décisions de la Cour, le Gouvernement hondurien a pris une mesure importante en créant une commission spéciale de haut niveau, connue sous le nom de CIANCSI (Commission intersectorielle de haut niveau sur le respect des jugements internationaux). Créée avec le soutien du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), la Commission contribuera à garantir la restitution des terres ancestrales aux communautés de Triunfo de la Cruz, Punta Piedra et San Juan. « La Commission a pour but de surmonter les obstacles qui ont empêché l’exécution des arrêts et de veiller à ce que l’État remplisse ses obligations telles qu’elles sont définies dans ces arrêts », a déclaré Isabel Albaladejo Escribano, cheffe du bureau du HCDH au Honduras. « Nos communautés sont confrontées à une guerre », a déclaré Miriam Miranda, défenseur des droits de l’homme garifuna et dirigeante de l’Organisation fraternelle noire du Honduras (OFRANEH), au site d’actualités Mongabay. « Aujourd’hui, nous ne plantons plus de maïs, de haricots et de riz sur la côte », a-t-elle déclaré. « Nos territoires ont été remplis d’huile de palme africaine ». Le Honduras est le deuxième producteur d’huile de palme en Amérique latine, derrière la Colombie, avec environ 193 000 hectares de terres cultivées, en particulier dans les départements d’Atlántida et de Colón, qui sont les plus grands producteurs depuis 1940. Le président de l’Association industrielle des producteurs d’huile de palme du Honduras, Héctor Castro, a expliqué à Mongabay que la plupart de ces terres appartiennent à l’entreprise Palmas Atlántida, qui appartient au groupe Litoral, une société de producteurs dénoncée par les Garifunas pour la possession de terres d’origine douteuse.
Il faut savoir que les accords d’achat de terres sur le territoire des Garifunas ont été soutenus par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). D’autres agences, telles que la Banque interaméricaine de développement (BID), ont également accordé des prêts pour étendre les plantations dans la région. Un porte-parole de la Banque mondiale a déclaré en juillet 2024 à Mongabay que ses projets n’impliquaient aucune activité liée à la démarcation ou à l’attribution de titres de propriété des terres garifunas. Tandis que les représentants du FMI ont déclaré que ses programmes n’étaient « pas orientés vers des projets spécifiques » et qu’ils n’étaient « pas impliqués » dans les questions liées à la fragmentation des communautés ou à l’empiètement sur leurs terres ancestrales.


Bref, toutes les autorités concernées se défaussent. Le combat des Garifunas n’est donc pas gagné dans un pays ravagé par la corruption de la police et de l’armée. D’ailleurs, depuis les arrêts du tribunal, le racisme à l’égard des Garifunas s’est accru. En juin dernier, la police et l’armée honduriennes ont fait une descente dans la communauté de Trujillo et ont tenté d’expulser et d’emprisonner les habitants garifunas. La police aurait été envoyée pour protéger les intérêts d’investisseurs canadiens accusés de blanchiment d’argent et de fraude dans le cadre de la vente de terres garifunas au début de l’année 2024. « L’État même, qui devrait être le garant de ces droits, nous emprisonne tout en reconnaissant ces terres comme appartenant à des tiers qui n’ont aucune légitimité à les revendiquer », dénonce Mabel Robledo, une ancienne policière qui dirige le Comité de défense des terres de Nueva Armenia, une organisation locale qui lutte pour récupérer les terres des Garifunas. « Les Garifunas ont une culture unique qui implique une relation particulière avec l’environnement, une langue distincte et des systèmes sociaux reposant sur la communauté, qui risquent tous de souffrir s’ils ne parviennent pas à récupérer leurs territoires », plaide le HCDH.
Reste que le combat est inégal et difficile. « En tant que peuple garifuna, nous avons grandement contribué au développement de ce pays, mais nous sommes traités comme des minorités, comme si nous n’étions pas des êtres humains. Cela fait très mal. Nous ne sommes pas payés, nous nous faisons des ennemis, nous risquons notre vie, nous pouvons nous retrouver en prison. Alors, pourquoi le faire ? Parce que nous ressentons au plus profond de nous un appel ancestral », affirme Mabel Robledo.


Brigitte Postel




+ Crédit photo en-tête d’article : ©Pixabay



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