Dans son dernier livre : L’esprit ensauvagé. À l’écoute des peuples premiers pour une autre façon d’être au monde, Maurice Rebeix, photographe, écrivain et grand voyageur, nous partage une profonde réflexion sur les ressources vivifiantes que représente aujourd’hui la sagesse des savoirs des peuples autochtones. Alors que notre monde est bouleversé par des problèmes climatiques, un effondrement progressif de la biodiversité, une éco-anxiété, des crises politiques, une numérisation accélérée de nos vies, il est peut-être temps de prendre conseil auprès des dépositaires des plus anciens enseignements et de faire confiance à notre Mère-Terre.
◆ Je vous délivre ce message, partagez-le
Le grand Raoni Metuktire, chef du peuple Kayapo et figure internationale de la lutte pour la préservation de la forêt amazonienne et de la culture indigène, a écrit la préface1 du livre de Maurice Rebeix et à travers celle-ci, il nous offre un merveilleux message d’espoir dont voici un court extrait : « Que les Blancs peu à peu changent de mentalité, qu’ils cessent de penser au profit qu’ils peuvent tirer de la destruction de la forêt pour comprendre qu’elle est un être vivant, comme vous, comme moi, et alors nous pourrons continuer de vivre auprès d’elle, nous pourrons continuer d’apprendre d’elle, de nous soigner grâce à elle. Alors nous pourrons à notre tour la soigner. Alors les choses pourront changer ».
◆ Continue d’avancer !
Maurice vit à Anglet mais il sillonne le monde depuis plus de quarante ans. Il fait des photographies et rend visite à ses « frères »… les Sioux-Lakota d’Amérique du nord, le peuple Xingu d’Amazonie, les Haudenosaunee (confédération iroquoise) mais aussi à ceux d’Australie, du Canada, d’Indonésie, d’Éthiopie, du Maroc ou de l’île de Maui. Dans cet essai, il revient tout d’abord sur la pandémie mondiale, démarrée en 2020, sur les confinements et reconfinements qui, pour les plus chanceux d’entre nous, ont offert l’opportunité d’une profonde introspection, mais qui ont aussi donné à la nature une chance inouïe de resplendir à nouveau, libérée de l’ensemble des pollutions qui l’abiment. Il s’émerveille sur la beauté de tout ce qui l’entoure : « Écoutant le chant du monde soudain débarrassé de la persistante rumeur d’une mécanisation généralisée, nous constations avec bien d’autres que les oiseaux chantaient de plus en plus fort ou qu’ils étaient de plus en plus nombreux, voire les deux. (…) Nous pouvions suivre la course du soleil dans le jour, L’esprit soudain affranchi du diktat de la montre. L’aventure, enfin l’aventure. Celle-ci entrait de nouveau dans nos vies, prenant la forme d’un appui inespéré sur le bouton pause ». Il revient aussi, mesures sanitaires obligent, sur l’absence de cérémonies funéraires, même différées, et de rituels dans l’accompagnement de nos disparus, ces rituels si chers aux communautés autochtones, ces cérémonies qui rythment leurs vies et qui par là même remettent du sens et de la sacralité, témoignant de ce qui fait de nous tous des humains : « Nos rites ancestraux disent qui nous fûmes. Nos priorités du moment disent qui nous sommes devenus ». Puis il évoque plus largement toutes les attaques de nos sociétés contre la nature, de la déforestation à l’agriculture intensive, de l’arrachage à l’abattage, de l’exploitation des ressources naturelles à la pollution des eaux : « Donnons-nous le temps aux choses de se reproduire, de se régénérer en ne prélevant que ce qui nous est nécessaire, ou bien avons-nous pris l’habitude d’épuiser tout ce qui vit, tout ce qui bouge, jusqu’à l’ultime goutte, jusqu’à l’os, tout prendre et ne rien laisser ? ». Il interroge nos rêves d’Occidentaux et nous rappelle justement que le territoire des rêves est si créateur chez les peuples premiers, qu’il est le lieu dans lequel « le monde d’après » a une chance de se construire…
◆ Qu’est-ce qui t’a amené jusqu’ici ?
Maurice a retrouvé ses frères Lakota en 1995, suivant ses rêves enfantins d’indiens, de cabanes, d’arcs, de flèches et de plumes et son inspiration ancienne : « Comment Tim ne percevait-il pas ces jeux de mon enfance comme un présage, la graine poussée en moi jusqu’à me faire venir un jour à la rencontre des siens ? Pouvoir de l’onirisme, chez tous les peuples premiers, apprendre à décrypter ses rêves c’est trouver le sens à donner à sa vie. Un truc d’Indien quand chez nous grandir signifie tout le contraire, et que devenir adulte impose d’oublier la puérilité de ses rêves d’enfants pour passer aux choses sérieuses ». Maurice met l’accent sur le pouvoir subtil de ces traditions ancestrales du peuple Lakota ponctuées de cérémonies, de danses et de chants, et par lesquelles se perpétuent l’étude et la compréhension spirituelle du monde. Il nous rappelle que la plus grande « médecine » qu’ils lui ont enseignée reste celle qui nous relie les uns avec les autres : « C’est une compréhension intuitive, spirituelle, ancestrale, aujourd’hui validée par l’épigénétique, une science émergente. Selon celle-ci, notre héritage génétique n’est pas fixe, ou rigide, mais modulable, influençable par les facteurs que sont par exemple la nutrition, l’exercice physique, le stress, le plaisir, ou encore le réseau humain, social ou familial ». Il prend le temps d’apporter une juste compréhension de rituels longtemps jugés « barbares » par nos yeux d’Occidentaux., telle « la danse du soleil ».
◆ Se voir avec les yeux de l’autre
Tout au long de son livre, Maurice Rebeix questionne la crise actuelle, avec précision et sensibilité, ici l’Homo consumus, là la sagesse des peuples racines. Il nous propose, grâce à de nombreuses et pertinentes références philosophiques, littéraires, sociologiques, scientifiques, historiques et spirituelles, un large éventail de réflexions. Ses mots nous invitent avec poésie et engagement à une réconciliation avec notre nature profonde : « Qui peut encore nommer tel ou tel arbre pourtant quotidiennement croisé sur le trajet qui mène à son lieu de travail ? Qui reconnaît ses feuilles ? Qui se lève avant l’aube pour le plaisir gracieux de saluer Vénus, étoile du berger, cristalline vigie sur l’océan nocturne ? Qui s’offre encore la joie simple de lever la tête vers le ciel aux toutes premières gouttes de pluie, sorte de bénédiction gratuite, le chamanisme sans les élucubrations dont on l’affuble quand il devient tendance ? ». Il nous transmet l’espoir qu’une planète viable pourra être transmise aux générations futures, si nous réussissons de nouveau à « ensauvager » nos esprits et nos cœurs en nous inspirant de la pensée des peuples autochtones : « indigènes du monde, myriade de peuples-racines formant le tronc commun de l’arbre-humanité le long duquel les branches apparues depuis lors disent éloquemment notre diversité autant que notre origine commune ».
« Parlez aux rivières, aux lacs, aux vents comme à des parents », John Fire Lame Deer (homme-médecine sioux)
Jessica Baucher
- 1 : contribution personnelle du chef Raoni Metuktire au livre de Maurice Rebeix, recueillie et certifiée le 16 novembre 2021 à Colider, Mato Grosso, Brésil, par Edson Araceli Santini, coordinateur administratif de l’institut Raoni.
Pour aller plus loin…
– le site de photographies de Maurice Rebeix
– le site Tous reliés (conférences, méditations, rencontres et cérémonies) de Maurice Rebeix
– reportage de Maurice Rebeix : Euskal Herri à l’occasion de la visite du Chef Leonard Crow Dog sur l’invitation de Traditions Premières, l’association qu’il préside – France 3
– Bande annonce du documentaire THE CIRCLE (en anglais), réalisé en terre indienne par Andreas Mannsberger pour Mabon Film avec la participation de chefs Traditionnels Sioux Lakota ainsi que de Maurice Rebeix.
+ Retrouvez également notre entretien avec Ernie Lapointe, arrière-petit-fils du Hunkpapa Lakota Iyotaké, dit Sitting Bull dans le nouveau numéro de notre revue
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