Au centre-nord du Kenya, la jeunesse samburu accompagne une véritable révolution culturelle qui passe par la musique. Démarrée il y a plus de dix ans, cette mutation artistique bouscule les codes en renouvelant la pratique ancestrale du chant. Les paroles écrites en langue traditionnelle s’emparent de revendications telles que la protection de l’environnement, l’excision, la liberté du choix amoureux et la dénonciation du colonialisme. Grâce aux outils numériques actuels, la diffusion de leurs messages offre une visibilité inédite et leur donne l’espoir de pouvoir jouer très bientôt un rôle politique important.
◆ L’émergence de nouveaux « maîtres de cérémonie »
Chez les Samburu, la pratique musicale ancestrale qui ressemble à une conversation chantée, à la rythmique d’un obstinato, a toujours régi les interactions entre les groupes et les personnes en participant à la construction du « soi » social et au positionnement de l’individu à l’intérieur de la communauté. Depuis quatre ans, la jeune génération se réapproprie cette pratique en créant une nouvelle musique composée de rythmes urbains aux sonorités reggae, électro et folk. Les messages sont auto-tunés et relayés par les radios communautaires locales, les réseaux sociaux et par des DJ samburu qui animent des soirées un peu partout y compris dans les communautés les plus lointaines du pays. Les nouveaux chanteurs sont aujourd’hui présents lors de nombreux moments de la vie de la communauté tels que les mariages et autres cérémonies initiatiques.
◆ Changement de voix
Traditionnellement genrée, la musique des Samburu laissait auparavant les chants d’amour aux femmes et les chants guerriers aux hommes. Jusqu’alors le patrimoine musical racontait plutôt comment de jeunes hommes parvenaient à mener le bétail et les guerres avec les clans rivaux. Mais depuis 1990, une libération de la parole s’est progressivement déroulée sur d’autres sujets notamment grâce aux jeunes scolarisés, vivant en marge des traditions, les « « ikardai », en langue maa (soit « ceux qui s’habillent de manière embrouillée », c’est-à-dire occidentale) », indique le journaliste Jean-Christophe Servant dans un article du média libre Afrique XXI. « Il m’a fallu du temps pour que je réalise que je faisais quelque chose que les miens ne comprenaient pas. S’ils aimaient ma musique, ils ne captaient rien au concept de mes chansons. Jusqu’au jour où mon père m’a conseillé de faire la même chose, mais dans notre langue, de manière à ce qu’il comprenne ce que je chante. Ça a été une révélation : il fallait que je change de style », confiait le jeune chanteur Samburu Warrior, en 2021 à Giordano Marmone (propos rapportés dans l’article d’Afrique XXI).
◆ Bouger les lignes
Depuis 2018, l’émergence de nouveaux « ikardai » participe à la libération d’une parole contestataire dans différents domaines. « Début mai 2022, Nookisho animait ainsi un mariage avec Lentir à Dol Dol, dans le comté de Laikipia. En juin prochain, elle participera avec son groupe à un concert organisé dans la ville d’Archer’s Post, dans le comté de Samburu, afin de prêcher la paix entre communautés à l’approche des élections générales kényanes du 9 août 2022 », indique Afrique XXI. Multisystem X participe avec d’autres à une nouvelle forme de communication intergénérationnelle, intercommunautaire et crée un nouveau dialogue entre le féminin et le masculin. Le chanteur Pillaz Pilonje, lui, n’hésite pas à parler des colons britanniques et des regrettables conséquences de leurs actes sur la communauté. Cette génération d’artistes semble donc amenée à jouer rapidement un rôle politique certain. Les médias kenyans ainsi que les médias internationaux ne communiquent cependant pas du tout sur cette mouvance « pop samburu » pour l’instant mais la rapidité de la circulation sur les réseaux sociaux risque d’accélérer les choses ! Espérons-le !
« Tous les hommes les plus influents ne sont pas toujours des solistes de premier rang, mais il est très commun que les chanteurs principaux d’une unité territoriale soient aussi les individus les plus écoutés dans les assemblées. » Giordano Marmone
Jessica Baucher
Image en tête de l’article : LENTIR X NOOKISHO ©Multisystem X
Pour aller plus loin...
– La page Youtube de MC Tony entertainment
– La page Facebook de Multisystem X
– Découverte des recherches de l’ethno-musicologue Giordano Marmone, doctorant et membre du CREM
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