Dans leur dernier livre Tout est relié- Univers-Esprit, Jocelin Morisson et Romuald Leterrier, nous entraînent dans leurs remarquables investigations sur la conscience et l’arrière-monde. À l’heure où les découvertes de la science moderne rejoignent avec poésie les connaissances ancestrales des peuples premiers, ce livre met en lumière l’immense richesse de ces liaisons et laisse entrevoir, par bien des aspects, l’émergence d’une nouvelle manière de concevoir l’existence dans laquelle tout est relié !
◆ Passeurs avec boussole
Jocelin Morisson est journaliste scientifique, auteur et traducteur depuis de nombreuses années, et aussi rédacteur en chef de notre revue Natives. Il a écrit plusieurs livres dont La physique de la conscience avec Philippe Guillemant et aussi Se souvenir du futur et Se souvenir de l’au-delà avec Romuald Leterrier. Son approche scientifique et ses recherches approfondies, toujours pertinentes, créent un pont entre le monde matérialiste et le monde spirituel. Romuald, lui, est chercheur indépendant en ethnobotanique, auteur et spécialiste des plantes de vision du chamanisme amazonien. Ses expériences personnelles et sa rigueur viennent nourrir subtilement ses recherches qu’il partage avec une grande sincérité et une grande générosité. Dans Tout est relié- Univers-Esprit, les deux auteurs et complices se complètent admirablement : « À cette époque où tout semble se déliter, Romuald Leterrier et Jocelin Morisson nous apprennent cette extraordinaire nouvelle : nous ne sommes pas séparés, mais tous reliés d’innombrables manières », souligne Jean-Pierre Goux dans la préface de l’ouvrage.
◆ Plonger dans la toile universelle
À la fin des années quatre-vingt-dix, l’anthropologue canadien Jérémy Narby avait ouvert une voie intéressante en publiant son livre Le serpent cosmique, dans lequel il partageait ses découvertes sur les connaissances scientifiques qui découlaient du savoir des Shipibos et induites par l’esprit des plantes. Partants de ce même principe d’interdépendance, Romuald Leterrier et Jocelin Morisson nous plongent dans le web cosmique des chamanes : « (…) réseau qui sous-tend toute chose et constitue la trame aussi bien de notre lien fondamental au vivant que de notre connexion à l’invisible, au microcosme et au macrocosme ». À travers plusieurs de ses voyages avec les chamanes d’Amazonie, Romuald a pu enquêter sur ce qu’il nomme l’ayahuasca du ciel et faire lui-même l’expérience, comme nombre d’hommes-médecine avant lui, de la connexion au Grand-tout : « Intérieur-extérieur, visible-invisible, tout semblait se confondre, ne faire qu’un. Il suffisait que je pense à un endroit pour m’y retrouver instantanément. Je pensais alors : ” Voilà le mystère : l’univers est en moi ! ” Il fallait donc plonger en soi-même pour rejoindre les confins du ciel ! ». La richesse de ses interactions avec les peintures de Pablo Amaringo et ses différentes expéditions intérieures avec Ernesto, Ellias et Ruperto, le chamane yagua de l’est du Yucayali qui lui fait comprendre que leur rencontre est l’expression à la fois de synchronicités liées à sa connexion avec le shinan (la conscience, en shipibo) et aussi la matérialisation de la connexion de deux mondes : « le fait qu’à ce moment précis vous vous soyez comportés comme les dauphins de nos mythes lorsqu’ils nous rendent visite sur la terre ferme a déployé une histoire qui connecte, une situation qui relie les deux mondes: celui de l’ici-bas et le monde magique des êtres surnaturels du Fleuve. Tu dois m’aider à apaiser les esprits des dauphins, car vous avez été choisis malgré vous par nos histoires, nos mythes », nous permettent de comprendre ce qui se joue. Comme il le souligne, ces expériences se relient aisément aux travaux de l’anthropologue américain Gregory Bateson auprès des peuples iatmul de Papouasie-Nouvelle-Guinée sur la nature de l’esprit : « Selon lui, la structure de la nature et celle de l’esprit étaient des reflets l’une de l’autre, l’esprit et la nature formant une unité nécessaire. Il insistait également sur le rôle indispensable des histoires comme structure de relation à la source de notre rapport au réel ». Le récent travail du philosophe néerlandais Bernardo Kastrup souligne également l’importance de la notion de métaphore comme outil de connaissance en lien avec une perception élargie de la réalité.
◆ Le réseau mycélium
S’appuyant sur des découvertes scientifiques récentes d’Antony Trewavas, de Stefano Mancuso et de Fatima Cvrckova, Jocelin et Romuald montrent également comment le monde végétal est relié au même réseau central et constitue le web végétal. On parle aujourd’hui de neurobiologie végétale pour expliquer ce que, des années auparavant, Darwin et le poète belge Maurice Maeterlink appelait l’intelligence des fleurs… Pour les chamanes amazoniens, les plantes sont des êtres conscients dotés d’un esprit-mère : « En Amazonie péruvienne, les Indiens shipibos-conibos parlent de l’ibo des plantes. Ce concept est essentiel à notre propos, car l’ibo est l’esprit “mère” d’une espèce donnée de plantes ; elle en est comme le gardien et le principe vital. Mais l’ibo a aussi une dimension collective, en connectant toutes les espèces végétales et même animales entre elles. On a donc affaire à une entité qui fonctionne comme un moteur de recherche sur Internet ». Se référant aussi bien à l’arbre des âmes du film Avatar qu’aux travaux de l’ethnologue Jean-pierre Chaumeil, Romuald et Jocelin nous font mesurer l’étendue de ce réseau intelligent, grand centralisateur d’informations… sur lequel nous posons nos pieds chaque jour.
◆ Tout est relié
Les chamanes ont accès à ce que nos deux auteurs nomment biologie moléculaire intuitive. Ainsi nous découvrons le lien entre la qualité du corps et la capacité à recevoir de l’information par d’autres voies que celles de l’intellect. C’est ce nettoyage de notre instrument de voyage qui permet d’accéder à plus de synchronicités et donc à plus de preuves de notre liaison à l’ensemble du vivant : « La diète avait pour fonction de nettoyer mon organisme, mais surtout de focaliser mon attention sur le corps et ses ressentis. Pour Ernesto, les rêves et les visions étaient reçus d’abord par le corps avant d’être saisis par la conscience. Comme Bateson, d’une certaine façon, il était conscient des multiples boucles de causalités circulaires qui constituaient un organisme vivant. Ces oscillations du vivant – qu’il appelait “la musique de la vie” – généraient, selon lui, un « bruit », une mélodie qui traversait le corps de manière transtemporelle. Comme une sorte de flow (« flux ») reliant nos différents moi du passé et du futur ». C’est à la fois grâce à l’observation méticuleuse de leur environnement et à celle de leurs ressentis psycho-corporels que les peuples-racines ont bâti leurs savoirs. Le peuple aborigène Ngarinyin enseigne que la vie a été crée par les esprits Wandjina, liés à l’eau. Jocelin et Romuald relient ce mythe qui parle d’entités cellulaires aux travaux scientifiques sur l’eau de Jacques Benveniste et plus récemment du physico-chimiste français Marc Henry : « Les réflexions de Marc Henry font écho aux travaux de Jaques Benveniste sur la “mémoire de l’eau” et aux expériences qui ont suivi et démontré qu’il est possible de mémoriser, dans l’eau, une séquence d’ADN via sa signature électromagnétique. Mais il est surtout possible de transmettre cette signature par voie électronique et de faire réapparaître ce même ADN dans une eau n’ayant jamais été en contact avec l’ADN initial ». Les Ngarinyins enseignent que les Wandjina peuvent inspirer à distance un chant ou agir sur l’environnement par le biais de l’eau. Romuald nous dit même que le chamane Ruperto Garcia lui a confié que le chant et l’esprit d’une plante sont identiques et que si la plante manque, l’icaro – le chant – peut totalement faire le même effet : « Les dernières recherches en physique prêtent donc à l’eau le pouvoir de stocker l’information – ce qui en ferait une véritable interface entre la matière et la conscience. Puisqu’elle est partout dans l’univers, l’eau pourrait être le support de la mémoire de celui-ci et permettre la manifestation d’une véritable conscience collective de la matière, vivante ou non ».
Au fil de ce livre passionnant nous sommes amenés à voir combien les savoirs ancestraux et les découvertes scientifiques récentes tant liées à la nature, à l’esprit qu’à la notion de temporalité se rejoignent. Dans un monde de plus en plus divisé, la conscience risque bien de réussir à nous relier… Nous allons vers de merveilleuses découvertes qui vont radicalement modifier nos perceptions de la vie et du monde !
Jessica Baucher
« L’univers serait-il comme un immense jeu de rôle ? Est-il constitué d’un tissage cosmique d’histoires et de métaphores nous permettant d’endosser les multiples réalités auxquelles notre conscience pourrait s’identifier pour en percevoir les infinies facettes ? », Romuald Leterrier
* Crédit photo en tête d’article : ©Pixabay
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