Après plusieurs années d’absence, Lisandro Alonzo, réalisateur et scénariste argentin, signe un nouveau film animiste et très spirituel. Un récit onirique qui dénonce la brutalité infligée aux peuples indigènes. Eureka se divise en trois tableaux distincts : le premier évoque de manière audacieuse l’esthétique du western classique, adoptant un format carré en noir et blanc. Dans le second, l’histoire se métamorphose en documentaire captivant, capturant la réalité de la réserve de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. Enfin, le troisième tableau expose sans concession le ravage provoqué par les chercheurs d’or et l’exploitation des communautés indigènes dans une région mexicaine où le chamanisme reste une pratique profondément enracinée. Ce film raconte surtout le périple initiatique de Sadie, une jeune fille qui redécouvre ses origines amérindiennes dans les profondeurs de la jungle amazonienne, plongeant ainsi au cœur de son héritage ancestral.
◆ Comme dans un western
Lisandro Alonzo, fils d’agriculteurs, mène, depuis près de trente ans, une recherche existentielle à travers son cinéma. Après une absence cinématographique de presque dix ans, avec Eureka, il reprend ainsi le sillon tracé par son précédent film Jauja présenté à Un Certain regard, à Cannes en 2014, où il a reçu le prix de la FIPRESCI. Ce retour sur les écrans s’accompagne de la présence de Viggo Mortensen, qui ouvre le film par un prologue saisissant, évoquant l’atmosphère contemplative d’un western. Dans cette introduction, l’acteur déploie une présence magnétique et imposante, atteignant une intensité rarement égalée. Le récit onirique d’Eureka prend forme dès la conclusion de la scène en noir et blanc. Nous sommes transportés à l’époque actuelle, à Pine Ridge, au cœur de la réserve Sioux du Dakota du Sud. Accompagnée du policier Debonna, une longue traversée nocturne commence alors. La vérité se dévoile, bien loin des illusions de l’Amérique idéalisée par les colons. Ici, les Amérindiens sont condamnés à la pauvreté et à l’impossibilité d’évoluer socialement. Alors qu’elle cherche une jeune disparue, la policière découvre des corps dans un hangar abandonné, sans savoir s’ils sont encore en vie ou non.
◆ Une reconnexion spirituelle
Lisandro Alonso entrelace habilement différents tableaux pour former une seule et même histoire. Ce qui débute comme la chronique d’une policière se transforme progressivement en l’histoire captivante de Sadie, sa nièce, qui devient rapidement le personnage central du récit. Sous la direction de son grand-père, l’adolescente découvre ses origines, ouvrant ainsi la porte à une perception alternative du monde qui l’entoure. Enfant isolée, elle vit dans les vastes plaines désertiques du Dakota du Sud, mais retrouve une connexion avec ses ancêtres qui, eux, sont restés ancrés dans les traditions. Bien qu’elle soit d’origine amérindienne, elle ne se reconnaît pas dans les clichés des westerns en noir et blanc qu’elle regarde à la télévision. Élevée par une tante occupée par son travail de policière et privée de son père, elle cherche désespérément ses racines. Son grand-père l’initie à un voyage astral pour qu’elle puisse rencontrer les esprits de la forêt et se reconnecter avec leur héritage ancestral. Eureka ne raconte pas une simple histoire, mais plutôt une initiation, une exploration qui se déroule à son propre rythme, parfois un peu lentement, mais captivante dans son charme. Il évoque les spiritualités, en particulier le chamanisme, qui suscitent un vif intérêt en Occident, comme en témoignent les nombreuses publications et documentaires sur leur sujet. Lisandro crée à travers ce film des images et un récit ésotériques envoûtants.
◆ Labyrinthe
Le film se concentre davantage sur les apparences que sur une analyse approfondie de son sujet. Il met en contraste la vie des populations autochtones aux États-Unis et au Brésil, montrant à la fois le rejet et la tentative d’acceptation de la modernité. Il conserve un sentiment de mystère, permettant aux spectateurs non autochtones d’être déroutés. Le réalisateur a précisé que l’un de ses objectifs avait été de comparer les communautés autochtones d’Amérique du Nord et celle d’Amérique Centrale et du Sud et de voir comment certaines avaient déjà été représentées au cinéma et comment elles vivent aujourd’hui : « La comparaison est faite entre la vie des autochtones d’aujourd’hui et celle de ceux qui n’ont pas encore été affectés ou soumis par les États politiques et économiques ». Il a voulu explorer le thème de la culture autochtone, et faire un travail sur les Indiens natifs : « Je dis « indiens », mais aux États-Unis cela peut être mal perçu. Pour moi, ce sont des descendants d’Indiens qui sont devenus des peuples, des pauvres, avec leurs différences en fonction de l’endroit où ils vivent dans le monde. Aux États-Unis surtout, ils sont marginalisés. J’ai commencé à réfléchir à la manière dont un film pourrait refléter cela. Le film est un peu abstrait, il n’a pas une narration très conventionnelle. Il passe d’un lieu à un autre, d’un temps à un espace, donc je ne pourrais pas vraiment le résumer ». Eureka a été tourné dans dans le Dakota du sud mais aussi au Mexique, à Oaxaca, auprès d’une communauté de Chatinos et en Amérique du Sud.
Dans Eureka, Lisandro Alonso laisse volontairement des zones d’ombre. L’histoire ne fournit pas de résolution claire mais nous garde dans un flou onirique, artistique…. La vie tout entière n’était-elle pas un songe ?
« Les lieux du film sont comme des personnages. J’en ai fait une sélection comme se réalise un casting », Lisandro Alonzo
Jessica Baucher
Photo en tête d’article : © 2023 – Le Pacte Films
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