Le documentaire La Chute du Ciel, co-réalisé par Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha, nous plonge dans l’univers profond et mystique des Yanomami, un peuple autochtone d’Amazonie. Libre adaptation du livre éponyme de Davi Kopenawa, chamane Yanomami, et de l’anthropologue Bruce Albert, ce documentaire, en salle depuis le 5 février, est bien plus qu’un simple témoignage ethnographique. C’est une expérience immersive et sensorielle, un cri d’alarme face à la destruction de l’Amazonie et un miroir tendu à notre propre société.
◆ Au Service d’un message universel
Les Yanomami, peuple indigène vivant à cheval entre le Brésil et le Venezuela, sont environ 35 000, répartis en plusieurs communautés. Ils sont l’un des derniers groupes à vivre en relative autarcie, selon des traditions ancestrales fondées sur une relation intime avec la nature et une vision du monde profondément spirituelle. Depuis des siècles, ils pratiquent une agriculture itinérante, basée sur la culture du manioc et des fruits tropicaux, complétée par la chasse et la pêche. Leur alimentation repose également sur des ressources prélevées avec soin, dans le respect des esprits de la forêt. Selon leurs croyances, chaque élément de la nature – les arbres, les rivières, les animaux – est habité par des entités spirituelles qu’il convient d’honorer à travers des rituels chamaniques. Cette vision cosmologique est au cœur de La Chute du Ciel , qui nous plonge dans un univers où chaque arbre, chaque rivière, chaque animal a une âme et une signification profonde.
L’un des aspects les plus fascinants de leur culture est leur organisation sociale qui repose sur une structure collective. Ils vivent dans de grandes maisons communautaires appelées shabonos, construites en cercle autour d’une vaste place centrale, où se déroulent cérémonies, fêtes et débats. Ce mode de vie favorise une grande cohésion sociale et une entrée précieuse dans un environnement où la survie dépend de l’harmonie du groupe.
Cet équilibre est aujourd’hui gravement menacé. Depuis les années 1980, l’arrivée massive de garimpeiros (chercheurs d’or clandestins) a engendré un désastre écologique et sanitaire. La pollution au mercure, la propagation de maladies mortelles et les violences commises contre les Yanomami mettent en péril leur mode de vie. Malgré la reconnaissance officielle de leur territoire en 1992, leur lutte pour la survie continue face aux intérêts économiques et aux pressions politiques.
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◆ Davi Kopenawa, la voix des Yanomami
Davi Kopenawa, figure centrale du film, est un chamane, leader et porte-parole de son peuple. Depuis plusieurs décennies, il alerte le monde sur la destruction de l’Amazonie et la menace que cela représente, non seulement pour les Yanomami, mais pour l’ensemble de l’humanité. Son livre La Chute du Ciel, coécrit avec l’ethnologue Bruce Albert, est un témoignage unique sur la pensée Yanomami et une dénonciation de la société industrielle qui détruit la forêt. Le documentaire s’inspire directement de ce récit pour mettre en images ses paroles puissantes et visionnaires. À travers des séquences d’une rare intensité, nous suivons son combat acharné contre l’exploitation illégale des ressources et l’immense indifférence des gouvernements. Il y raconte également ses visions chamaniques, qui annoncent un monde en déclin total si les humains ne réapprennent pas à écouter la forêt et ses esprits. Depuis 2004, l’association Hutukara, dirigée par Davi, lutte pour les droits des Yanomami et la protection de la forêt tropicale. Son engagement est essentiel pour sensibiliser l’opinion publique internationale à l’urgence de la situation et à la nécessité d’agir : « Depuis début 2023, d’inquiétantes images des Yanomami circulent dans les médias nationaux et internationaux, exposant au monde la gravité de la situation sanitaire et humanitaire à laquelle ils sont confrontés, en particulier depuis les dernières années du gouvernement de Bolsonaro au Brésil : faim, paludisme, prostitution, déforestation, contamination au mercure et morts violentes dues aux invasions, suite à une nouvelle ruée vers l’or sur le territoire. Les centaines d’enfants tués sans raison apparente ont mis en évidence la situation alarmante dans laquelle se trouvent les Yanomami, que beaucoup décrivent comme un génocide ».
Selon lui, les « Napë » (les non-autochtones) sont prisonniers de la « marchandise », aveuglés par l’appât du gain et incapables de voir les conséquences de leurs actes sur la Terre. Il nous avertit que la catastrophe climatique n’est pas un phénomène isolé, mais une forme de « vengeance de la Terre », conséquence directe de la destruction de l’Amazonie et de l’extermination des peuples qui la protègent. Au cœur du film se trouve également le concept d’Utupë, la représentation spirituelle d’un individu sous forme d’image et d’écho. Dans cet univers, les esprits eux-mêmes sont des « êtres-images » et les chamans dialoguent avec eux pour guérir et préserver l’équilibre du monde. Le film capte cette essence vitale des Yanomami grâce à une mise en scène poétique bouleversante.
◆ Une approche engagée et immersive
Eryk Rocha, fils du célèbre réalisateur brésilien Glauber Rocha, est connu pour ses documentaires engagés mêlant approche sensorielle et réflexion politique. Depuis Rocha Que Voa (2002), il explore les liens entre mémoire, résistance et cinéma. Lauréat de l’Œil d’Or à Cannes en 2016 pour Cinema Novo, il s’impose comme l’une des voix majeures du documentaire contemporain. Gabriela Carneiro da Cunha, quant à elle, s’est spécialisée dans les récits liés aux peuples autochtones et les territoires menacés. Son travail interroge la relation entre l’humain et son environnement, et s’inscrit dans une démarche de cinéma militant et poétique.
Avec La Chute du Ciel, les deux cinéastes signent une œuvre qui dépasse le cadre du documentaire classique pour devenir un manifeste, un acte de résistance et un appel à repenser notre rapport au monde. La mise en scène joue avec les contrastes entre les visions du monde Yanomami et celles des sociétés industrialisées. Une séquence marquante illustre ce parti pris : alors que les chamanes s’activent pour maintenir l’équilibre du ciel, l’image disparaît soudainement pour ne laisser place qu’à la seule voix de Davi Kopenawa. Un moment fort qui nous oblige à ralentir, à ressentir, sans distraction visuelle.
Les deux réalisateurs rendent aussi hommage à Artavazd Pelechian en intégrant des extraits de son film La Nature. Ces images d’archives, montrant la destruction de notre planète, résonnent avec les paroles de Kopenawa et renforcent l’impact du message.
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◆Un cri d’alarme pour l’Amazonie et l’humanité
La Chute du Ciel est un manifeste pour la protection des peuples autochtones et de la forêt amazonienne. Il met en lumière la résilience des Yanomami, leur lutte pour la reconnaissance de leurs droits et l’urgence d’un changement de modèle économique et écologique. Le film, sorti en salles en France le 5 février, a déjà été primé dans plusieurs festivals internationaux, où il a suscité beaucoup d’émotion mais aussi des débats essentiels sur l’avenir de l’Amazonie. En donnant la parole aux premiers gardiens de la forêt, ce documentaire nous rappelle que la lutte des Yanomami est aussi la nôtre : protéger leur monde, c’est aussi préserver l’un des derniers écosystèmes vitaux de notre planète. Avec La Chute du Ciel, Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha nous offrent une œuvre bouleversante et nécessaire, qui nous invite à reconsidérer notre rapport à la nature et à écouter ceux qui en connaissent les secrets depuis des millénaires !
La Chute du Ciel transcende le simple documentaire en offrant une expérience sensorielle et philosophique unique… À voir absolument pour comprendre les enjeux écologiques et humains qui se jouent aujourd’hui au cœur de l’Amazonie.
« La forêt est vivante. Elle ne mourra que si les Blancs persistent à la détruire. (…) Alors nous mourrons, les uns après les autres, les Blancs et nous. Tous les chamanes finiront par mourir. Et quand il n’en restera plus un seul pour soutenir le ciel, celui-ci s’effondrera », Davi Kopenawa
Jessica Baucher avec La vingt-cinquième heure et Mélina Drême
Notre revue Natives est partenaire de ce magnifique documentaire.
Photo en tête d’article : La chute du ciel ©La vingt-cinquième heure
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