Imaginez le Livre de la Jungle mais dans une forêt normande, et Mowgli avec des chevreuils plutôt que des loups. C’est l’impression que donne cet étonnant récit autobiographique du photographe Geoffroy Delorme, qui pendant sept années s’est réfugié au plus profond des bois, le plus loin possible des autres humains et de toute forme de civilisation. Comme une plongée initiatique dans l’univers sauvage, qui commence à nos portes, l’auteur décrit la découverte d’un monde parallèle. Celui des animaux, qui l’ont peu à peu accepté, puis pris en amitié. Il faut dire que le jeune homme, en rupture avec sa famille, n’a pas fait les choses à moitié. Dormant à la belle étoile hiver comme été, survivant presque exclusivement de plantes, de châtaignes et de racines, il a frôlé l’hypothermie et la dénutrition. Et ce sont ses nouveaux amis, sa nouvelle famille, qui lui ont permis de survivre en l’instruisant par mimétisme sur les façons de subsister au grand air.
Ces chevreuils, Geoffroy Delorme leur donne des noms, décrit les nuances de leur personnalité et de leurs aventures. Non pas qu’il les « anthropise », à la manière d’une fable de Disney, pour projeter sur eux des sentiments humains, mais plutôt qu’il discerne avec de plus en plus de finesse leurs traits de caractère et tous leurs moyens de communication non-verbale. Cris, aboiements ou feulements, gestes, pas de danse, empreintes olfactives … au fil des années c’est véritablement le langage des bêtes que l’auteur apprend à parler. Un privilège inouï, d’une grande beauté, empreint de poésie et d’onirisme. Non pas dans le rejet de l’humain, mais dans la pleine mesure du fait qu’existent, non-loin de nous, des vies parallèles aux nôtres. Vies relativement brèves, souvent âpres, parfois interrompues par la balle d’un chasseur ou – bien pire aux yeux de l’auteur – par le pare-chocs d’une voiture, tandis que notre civilisation industrielle et pavillonnaire rogne sans cesse sur le monde sauvage. Mais vies tout de même, pleines de charme et de joie, comme une porte sur le merveilleux. Un rapport intuitif au monde animal qui n’est pas sans rappeler les connexions décrites par les chamanes de nombreux peuples racines avec les esprits de leurs animaux totems. Comme partout sur la planète, l’intuition d’un autre rapport au monde naturel se passait de mots.
Alfred de Montesquiou
RÉFÉRENCES
« L’homme-chevreuil, sept ans de vie sauvage », de Geoffroy Delorme, 252 pages, 19,90 euros, aux éditions Les Arènes.
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