Lui aussi a fait le voyage jusqu’en France en compagnie de Mauricio Iximaweteri Yanomami. À travers l’association Secoya dont il est le coordinateur, Silvio Cavuscens soutient le peuple Yanomami dans sa lutte. Ce sociologue d’origine suisse présent au Brésil depuis 1975 dénonce les crimes commis dans la région amazonienne. Des crimes contre les peuples qui y vivent, dont les Yanomami, mais aussi contre la nature. Avec Mauricio, Silvio Cavuscens souhaite que la communauté internationale réagisse et que la politique change au Brésil. Rencontre.
Sur quels appuis nationaux et internationaux pouvez-vous compter ? Que demandez-vous ?
À l’ONU, nous avons porté plainte auprès du rapporteur spécial sur les peuples autochtones à Genève. Nous avons aussi déposé une plainte auprès de l’OEA (Organisation des États Américains). Au niveau national, nous avons saisi le Suprême Tribunal fédéral. Notre requête, c’est le retrait immédiat de tous les chercheurs d’or, mais aussi la garantie d’une assistance de santé adéquate pour les Yanomami.
Nous demandons également l’implantation de postes militaires à des endroits stratégiques, pour renforcer la sécurité du territoire. Enfin, nous demandons l’application d’un protocole de consultation formé par les Yanomami, qui établit clairement la manière dont ils souhaitent être consultés face à tout projet qui puisse avoir une incidence quelconque sur leur territoire, leur vie, leur futur.
Qui sont les chercheurs d’or ? Comment fonctionnent-ils ?
Ce sont des chercheurs indépendants qui viennent de régions pauvres du Brésil, notamment de l’État de Maranhão au nord-est du pays. Ils sont soutenus par des pseudo-syndicats de chercheurs d’or, et sont appuyés par le narcotrafic colombien. Ils ont un énorme support logistique et opérationnel. Actuellement, une récente étude a dénombré pas moins de quarante-quatre pistes d’avion clandestines sur le territoire Yanomami.
Nous faisons face à une association du crime, ils sont très bien organisés. Ils sont armés jusqu’aux dents, ils ont des avions, des hélicoptères. Aujourd’hui, la situation empire, car ils ne cherchent plus seulement de l’or, ils extraient désormais la cassitérite (minéral d’où est extrait l’étain), un métal utilisé pour fabriquer les boîtes de conserve, mais qui sert aussi pour la fabrication des téléphones.
Face à la puissance de cette organisation, comment les Yanomami peuvent-ils lutter ?
Le rapport de force est très inégal. Dans bon nombre de cas, les Yanomami fuient, leurs villages sont brûlés. L’autre violence, plus discrète, c’est la corruption passive dont ils sont victimes. Les chercheurs d’or tentent de les soudoyer, de leur donner des cadeaux, de l’argent, pour qu’ils partent. Parfois, ils leur offrent même des médicaments puisque le gouvernement ne le fait pas. Ils emmènent des patients en ville pour les soigner, ils donnent de l’argent aux leaders pour chaque avion qui se pose sur les pistes clandestines du territoire. Cette situation crée des conflits entre villages, certains acceptent, la plupart refusent.
Jugez-vous le président Bolsonaro responsable de cette situation ? Si nous revenons en arrière dans le temps, à partir de quand la situation a-t-elle commencé à se dégrader selon vous ?
Il est nécessaire que le président Bolsonaro s’en aille, c’est le pire gouvernement que le Brésil ait jamais connu. Il y a une volonté délibérée de ne pas faire respecter la loi, et de provoquer ce génocide des Yanomami et des peuples indigènes. Dès le départ, Jair Bolsonaro a ouvertement dit qu’il ne donnerait plus aucun centimètre de terres aux autochtones, estimant que ces peuples étaient un frein pour la modernité et le développement du pays. En définitif, ils gênent.
« Malheureusement, ce sont toujours les intérêts
économiques qui priment au Brésil »
Silvio Cavuscens
Toutefois, il faut rappeler que lorsque Lula a été au pouvoir, il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire. Beaucoup de conflits ont existé en son temps et durant le mandat de Dilma Roussef, avec par exemple le barrage de Belo Monte, une catastrophe écologique. Malheureusement, ce sont toujours les intérêts économiques qui priment au Brésil. Si à l’issue des élections, Lula reprend le pouvoir, il ne sera pas obligatoirement le président des peuples indigènes. Je souligne cependant qu’il a proposé la création d’un ministère indigène, ce qui est une bonne idée. Nous espérons en tout cas une nouvelle perspective pour le Brésil. Il faudra changer les lois, cela va prendre du temps.
Propos recueillis par Antoine Portoles. Première partie de l’entretien avec Mauricio Iximaweteri Yanomami, à retrouver sur le site.
Photo en tête d’article : Les Yanomami se peignent le visage et le corps avec les teintures naturelles rouge urucum et noire genipapo, et se décorent avec des plumes d’oiseaux, ©Fiona Watson/Survival
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