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Devenir gardien de la Terre… Rencontre avec Céline Dartanian

Après une carrière dans la publicité et les médias, Céline Dartanian a été initiée au chamanisme sibérien en Mongolie. Elle est également l’auteur de Dans le noir on voit mieux, récit autobiographique, publié chez Mama Éditions. Pendant le confinement en 2020, alors qu’elle travaillait sur l’écriture d’un ouvrage consacré à l’animisme, elle fait le constat sans appel que les ressources et connaissances des peuples autochtones sont pillées par des entreprises occidentales ce qui la pousse à créer BÖÖ. S’appuyant sur le protocole de Nagoya (2010) si peu respecté encore, elle fonde donc sa propre marque de produits de santé naturels qui œuvre pour les peuples autochtones, leurs savoirs et les biodiversités associées. En même temps, Céline se lance dans la création d’une seconde structure l’ACA – L’Association des Cultures Animistes, ayant pour mission de partager les enseignements des cultures animistes au travers de conférences, de rencontres et d’expériences spirituelles.

Propos recueillis par Jessica Baucher


Pouvez-vous nous raconter la naissance de BÖÖ ?

Alors que j’étais en train de travailler à la rédaction d’un ouvrage sur l’animisme, en plein confinement, j’ai décidé de créer une marque de phytothérapie et d’aromathérapie : BÖÖ (qui signifie chamane en Mongol) axée sur la médecine préventive et basée sur les médecines traditionnelles issues des plantes. J’ai découvert que les plantes n’étaient jamais ritualisées au moment de la coupe dans les pratiques occidentales. Ceci reflète bien l’idée d’une consommation sans conscience. Je me suis aussi intéressée à la dimension économique et à l’aspect juridique dans la rétribution des peuples. Beaucoup d’entreprises n’utilisent pas le protocole de Nagoya, pourtant signé en 2010 et ne reversent rien aux peuples autochtones. Ce protocole exige une juste rétribution de l’utilisation des savoirs ancestraux et des ressources naturelles. Les chercheurs occidentaux viennent chercher des connaissances médicinales puis, de retour en France, déposent un brevet et commercialisent. Ça a été le cas avec la « Quinine de Cayenne » (Quassia amara) cultivée en Guyane et dont les usages et connaissances ont été délivrés par les chefs de tribus. L’Institut de recherche pour le développement (IRD) n’a rétribué personne. « Pour l’association France Libertés, l’IRD s’est rendue coupable de biopiraterie. Selon elle, les chercheurs avaient interrogé les populations autochtones et locales pour connaître leurs pratiques ancestrales. À partir de là, les scientifiques avaient pu isoler une molécule active et, plutôt que de partager le résultat des recherches, avaient préféré breveter l’usage de la molécule SkE à leur seul bénéfice »1.


Céline Dartanian ©Alain Potignon

Que pensez-vous de la biopiraterie ?

Déposer un brevet est une démarche qui relève du droit juridique français. Les peuples autochtones partagent leurs connaissances en partant d’un principe de confiance et avec la notion de respect. Ils ne sont pas toujours en mesure d’imaginer ce qui se pratique ensuite en Occident. Aussi pour toutes ces raisons, j’ai fondé BÖÖ qui prévoit une rétribution monétaire équitable et un pourcentage est reversé à l’ACA que j’ai également créé et qui porte différentes missions : services cultuels, et la sauvegarde des savoirs ancestraux.


Sur le terrain, comment BÖÖ et ACA protègent les savoirs ancestraux ?

Je collabore avec une start-up qui a développé une plateforme de probation, équipée d’une technologie de stockage et de transmission d’informations. Aussi, très bientôt, un chef de tribu qui maitrise internet ou un tiers de confiance (anthropologue, ethnologue, ethno-musicien) pourra envoyer un fichier horodaté sur cette plateforme dédiée afin de le protéger. Les tribus sont photographiées, filmées, enregistrées lors de cérémonies et, dans le droit occidental, celui qui enregistre devient propriétaire de ce qu’il a enregistré, alors que pour les peuples autochtones ce qui est photographié ou enregistré n’appartient pas à celui qui le prend mais est un secret partagé et ne doit pas être diffusé sans accord. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a justement ouvert un bureau de médiation sur ces questions. L’ACA défend les peuples autochtones qui réclament juste du respect et souhaitent faire valoir leurs droits moraux et financiers.
BÖÖ s’occupe de la ritualisation des plantes mais il me fallait pouvoir créer un label qui justifierait de cette certification. Donc j’ai créé une marque collective de certification-ritualisation liée à l’ACA qui s’appelle Anima. La gamme de produits proposés par BÖÖ va bientôt s’élargir. Il y a notamment une collaboration mise en place avec des Bushmen d’Afrique du Sud et à Madagascar avec des tradipraticiens. Le label est déposé à l’INPI et en cours de développement. Il est ouvert à d’autres secteurs industriels : agro-alimentaire, filière bois, viticoles, batichanvre, cosmétique, textile (slow fashion). C’est un nouveau label de ritualisation qui vient s’ajouter au labels kasher et halal !


Quels sont vos besoins actuels ?

J’essaye de trouver des investisseurs pour avoir plus de moyens. Je recherche des fonds pour développer de nouveaux produits. Il n’y a en que cinq actuellement. Je souhaite recruter quelqu’un pour s’occuper du business développement de BÖÖ. Il me faut également identifier des personnes déjà engagées dans la voie du chamanisme afin qu’elles deviennent ritualistes dans leur région et que je puisse créer un réseau de confiance.

©BÖÖ

Cette autre activité est-elle la suite logique de votre fonction de chamane ?

Être chamane n’est pas un métier; faire des cérémonies chaque jour, ce n’est pas faisable. De plus, j’aime entreprendre et j’ai envie de pouvoir mettre en application ma vision animiste, mes convictions profondes et de les incarner dans le monde, dans la matière. L’ACA compte déjà plusieurs chamanes issus de traditions différentes. Ceci va permettre d’éviter d’éventuelles « guerres de chapelle » et surtout de se relier. Nous allons mettre en place un rassemblement annuel pour commencer. Actuellement, j’organise trois cérémonies publiques par mois, chez moi à Cabris dans les Alpes-Maritimes et parfois à Paris. À partir de la rentrée, je vais également donner une série de conférences sur l’animisme au Forum 104 et je continue aussi ma collaboration avec le danseur-chorégraphe et directeur du théâtre de Chaillot Rachid OUAMRANE.




©BÖÖ



Avez-vous le désir de transmettre ?

Oui tout à fait. J’ai depuis peu de temps deux élèves, je suis contente même si c’est tout nouveau pour moi ! Suite à des consultations puis des cérémonies de confirmation, j’ai trouvé deux chamanes… un homme et une femme, plus doués que moi, et qui œuvreront avec l’ACA. Ils sont venus il y a quelques années, ils ne se sentaient pas tout à fait prêts et maintenant ils le sont. Être en clan c’est important ! Beaucoup de maux dont on souffre ici : baby-blues, burnout, etc., sont liés à la solitude.
De plus, je continue d’écrire le livre sur l’animisme : « Les 3 alliances« . Je prépare également une série de petits guides pratiques sur les arts divinatoires chamaniques. Le premier initiera au Khalkha qui se pratique avec quarante-et-une pierre (origine Mongolie, Kazakhstan).


Pensez-vous que nous sommes en plein réveil collectif ?


Oui ! L’animisme est le terreau le plus sain pour apporter un socle à la transformation du monde…


« Le sacré est niché au cœur de toute chose, ce qui rend toute chose sacrée »
Céline Dartanian, Dans le noir on voit mieux, 2021







+ Crédit photo en tête d’article : ©Pixabay : logo BÖÖ



Pour aller plus loin…
Présentation de BÖÖ
– Le blog de BÖÖ
– Découvrez le son de BÖÖ
– Le livre de Céline Dartanian : « Dans le noir on voit mieux« , paru chez Mama Editions


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